Accueilchevron_rightL’Olivier, Le petit journal du Grand Lycéechevron_rightQuand les gestes ouvrent la voix

Vivre la poésie avec Yves Gaudin

Comment donner le plaisir de lire de la poésie? Comment faire de la création poétique? Comment utiliser les gestes pour réciter un poème? C’est pour répondre à ces questions que Christine Vandromme, directrice du cycle 3 à l’école primaire, a invité le poète français Yves Gaudin à venir travailler avec les élèves du CM2 et de 6e. Pendant une semaine, ils se sont immergés dans ce genre littéraire pour s’approprier des textes jusqu’à prendre du plaisir à écrire et réciter leurs propres poèmes, en musique.

 

Dans la classe de 6E ce matin, les élèves s’étirent, s’échauffent les poignées, les chevilles, la voix et grimacent pour se préparer à bien articuler. Ils s’apprêtent à faire de la poésie. Pourquoi se préparer ainsi avant de clamer un poème? Parce qu’ils sont guidés par Yves Gaudin, auteur et poète qui se décrit comme « un rhapsode », un porteur de poèmes itinérant. Ancien démonstrateur de machines agricoles du Moyen Orient aux États-Unis, enseignant de Français, étudiant en théâtre contemporain, créateur de festivals de poésie à travers le monde, Yves Gaudin est capable de réciter « avec sa tête et avec son corps », précise-t-il, des poèmes en vingt-deux langues! De quoi impressionner les élèves qui s’apprêtent à réciter, slamer, vivre les poèmes qu’ils ont écrit avec lui.

Découvrir la poésie autrement

Pour Yves, « la poésie se partage ». Il l’a d’ailleurs partagé dans des établissements des plus inattendus avant d’arriver au Grand Lycée de Beyrouth : des lycées techniques et professionnels, des prisons, des casernes militaires en France et ailleurs. Devant les vidéos montrant ces rencontres, les élèves sont bouche bée : des adultes qui récitent de la poésie ? Des grands gaillards qui déclament des vers en chœur ? « Habituellement, les élèves trouvent que la poésie, c’est barbant ; ce sont des textes à apprendre par cœur et voilà, regrette Martine Jabre, enseignante de CM2 qui a reçu l’auteur quatre séances dans sa classe. Quand ils ont vu que des adultes, des soldats, faisant de la poésie, ils n’en revenaient pas ».  Les élèves de 6E confirment : « Lorsque notre professeur de français, madame Kupelian, nous a dit que le poète Yves Gaudin allait venir en classe, on s’est dit qu’on allait s’ennuyer, avoue Eddy sans honte, mais dès son arrivée, il nous a surpris et on s’est beaucoup amusés ! ».

La visite du rhapsode contemporain intègre un projet interclasses sur le thème du voyage, travaillé à la fois en CM2 et en 6e. « Nous étudions, en classe, les œuvres La Mouette et le Chat de Luis Sepulveda et Vendredi ou la Vie sauvage de Michel Tournier, et nous avons trouvé cela intéressant de travailler la poésie, en collaboration avec le CCC, à partir d’images de l’album Les derniers géants de François Place. Nous avons constitué des trinômes d’élèves avec deux élèves de CM2 et un de 6e. Ils devaient trouver des champs lexicaux et produire un texte poétique en prose à partir ces images ». Tous se sont prêtés au jeu, y compris les élèves qui ont généralement du mal à produire de l’écrit. « Nous n’avons pas posé de contrainte à part l’image, nous avons tenu à décomplexer l’activité pour qu’ils puissent tous se lancer, et ils se sont lancés ! se réjouit la professeure. Tous les élèves ont écrit des poèmes intéressants, très riches et Yves Gaudin, à partir de là, a choisi des textes qui permettent de ressentir des choses, d’exprimer et de partager des émotions, pour travailler avec chacune des classes participant au projet ».

Utiliser son corps pour faire sonner les mots

La première découverte pour les élèves a été de travailler la gestuelle. « Au début, j’ai trouvé Yves étrange, confie Kate en 6E. Il faisait des bruits avec sa bouche (rires). Puis, on a commencé à faire une chorégraphie en se mettant tous debout, on n’avait jamais fait ça! », explique-t-elle avant de se remettre en place. Elle fait partie des quatre élèves donnant le tempo en claquant des doigts, au tableau, devant leurs camarades. Yves Gaudin, en chef d’orchestre, lance une musique urbaine et, du fond de la classe, motive les troupes : « Prêts ? En position. Donnez le départ! ». Il guide la chorégraphie et la magie opère : trente enfants déclament des vers retenus en quelques minutes à peine, donnant de la force à chacun des mots qu’ils emploient en les accompagnant de mouvements vifs, précis, puissants. « Il nous a appris que la poésie, ce n’est pas que de l’écrit, des récitations, affirme Samer en reprenant sa respiration. On peut vraiment le faire comme on veut, s’amuser avec des gestes ». Yves Gaudin les fait reprendre et reprendre encore. A quelques heures de la représentation devant leurs camarades des autres classes, la récitation doit être parfaitement calée, la tension ne doit retomber à aucun moment, les élèves doivent tenir en haleine jusqu’à leur dernier souffle. « C’est fatiguant! s’exclame Ilyana. Le fait de faire tous ces gestes avec les bras et le corps, et de bouger sur notre jambe d’appui, cela fait un peu mal ». « Tout votre corps est dedans ! s’écrie le poète. Ce n’est pas que la tête! ». Ils déclament une dernière fois ensemble le poème engagé qu’il a choisi : « Est-ce le cœur, de l’homme qui bat, pour peu qu’on ne l’enferme pas ? Est-ce le cœur de l’arbre qui bat, pour peu qu’on ne l’abatte pas ? ». « Ce poème correspond à tous les gens que j’ai rencontré au Liban. Pensez à ce pays, pensez au cèdre lorsque vous prononcez les vers », conseille Yves Gaudin aux élèves avant de les remercier pour leur implication et leur investissement.

 

« L’idée était qu’ils s’approprient la poésie. Qu’ils apprennent à moduler leur voix, à l’accompagner de gestes, relève Martine Jabre. C’est incroyable pour nous, enseignants, de voir des élèves qui sont capables de mener trente élèves en même temps, comme des chefs d’orchestre! ». Pour elle, cette rencontre est une respiration, une inspiration, quand la poésie reste le genre littéraire qui suscite le moins d’intérêt pour les enfants qui limitent souvent cela au simple exercice de mémorisation. « Les élèves doivent apprendre dix textes poétiques, c’est le programme. Mais comment ? », se demande Martine Jabre qui espère à nouveau pouvoir recevoir dans sa classe de CM2 le poète itinérant l’année prochaine. « Pendant les vacances de février, mes élèves avaient appris une poésie sur le thème du voyage. Je leur ai dit ‘maintenant que vous la savez bien, vous allez chercher à me restituer cette poésie mais à la manière d’Yves Gaudin’ et c’est ce qu’on s’apprête à faire. Ils ont appris qu’il y avait plein de manières de restituer la poésie, qu’on pouvait la faire vivre », conclut l’enseignante. Cette rencontre marquera, sans doute, le parcours de la plupart de ces écoliers qui perçoivent, comprennent, abordent désormais la poésie différemment, en ayant, à travers le corps, réussi à toucher les cœurs.

 

Reportage effectué en février 2020.