Accueilchevron_rightL’Olivier, Le petit journal du Grand Lycéechevron_rightanciens, art, Aurélien Zouki, HAHchevron_rightParoles d'ancien : Aurélien Zouki
©Jean Hatem

Pour ce nouveau Paroles d’ancien, nous mettons le cap sur l’art et partons à la rencontre de Aurélien Zouki qui est artiste comédien, danseur, co-fondateur de Hamana Artist House (HAH), opérateur culturel et beaucoup d’autres choses. J’ai eu la chance d’avoir une discussion passionnante avec un passionné.

Aurélien a passé toute sa scolarité dans les établissements de la mission laïque française. A Kfarhbab puis au GLFL, à l’endroit où nous le connaissons aujourd’hui, depuis sa 4e. Il fait partie de la promo 1998, est détenteur d’un baccalauréat scientifique mais a toujours eu une âme littéraire, une grande sensibilité pour les arts et la culture.

Ce qu’il garde de toutes ces années d’école c’est, et il le dit sans une seconde d’hésitation : ses amitiés. C’est pendant ces années là qu’il a forgé des relations fortes et qui perdurent. Les amitiés des camarades mais également, des amitiés fortes qu’il garde jusqu’à aujourd’hui faites auprès d’enseignantes et enseignants.

J’ai été curieuse de savoir ce qui dans cette école lui avait permis, selon lui bien sûr, de faire ce qu’il fait et d’être ce qu’il est aujourd’hui. Et sans trop de surprise, il dira tout simplement « la diversité ». La diversité des élèves, des différentes communautés et des différents contextes dont ils étaient tous issus. Mais également la diversité du corps enseignant : « Il y avait des expats, mais également des locaux qui venaient eux-mêmes de milieux différents, de formations différentes etc. D’une année à l’autre nous nous sommes forgés notre force de penser, notre force critique bien à nous. Grâce à cette diversité ». Parce que en tant qu’élève ils se sont retrouvés face à des profils très différents et non pas des personnalités similaires qui sortent « du même moule et qui continuent de reproduire une même manière de faire » nous explique-t-il.

Avant même d’avoir les résultats de son baccalauréat, Aurélien partira en France, passer une audition pour intégrer une école de formation de comédien. « J’aurais pu le faire au Liban, mais j’avais envie d’aller apprendre ailleurs parce que je savais, déjà à l’époque, que je voulais travailler au Liban, que je voulais faire ce métier dans ce pays. C’était donc important pour moi d’apprendre d’ailleurs, des gens d’ailleurs ».

Il a été reçu, a eu son diplôme et a commencé à travailler en France et en Italie notamment pour gagner de l’expérience, tout en continuant de revenir au Liban régulièrement en montant des petits projets qui finalement prépareront le terrain de ce qui suivra.

« C’est la guerre de 2006 qui a été déterminante pour moi. Je me suis dit que ça n’avait plus de sens pour moi d’être en Europe et que c’était vraiment au Liban que j’avais quelque chose à apporter ».

A ce moment là le Collectif Kahraba sera créé avec l’ambition de monter des spectacles et de les partager avec tout public à travers le pays et non pas uniquement dans la capitale. Est né alors le festival « Nous, la lune et les voisins » qui, avant de voyager à travers le pays, a fait ses premier pas dans le quartier de Mar Mikhaïl, sur les escaliers Vendôme, pour permettre aux voisins de quartier du Collectif justement, de profiter de spectacles qu’ils ne seraient jamais aller regarder au théâtre.

« Quand on n’est plus en contact avec les arts, on oublie très vite tout le bienfait que l’art nous apporte : une nourriture spirituelle, une formation de l’esprit. On se forme en étant en contact avec les différentes formes de langage et d’expression. Notamment artistique ».

Une des vrais volontés du Collectif a toujours été aussi de rassembler les générations. « Il y avait cette fracture très forte entre les enfants et les familles et il y avait très peu de choses qui réunissaient parents et enfants. Finalement même quand les enfants vont assister à des spectacles dans leur cadre scolaire, ce sera une expérience qui ne sera pas partagée avec les parents ». C’est notamment pour cela que les créations du Collectif Kahraba ont toujours été intergénérationnelles, tout aussi divertissantes et impressionnantes pour les petits que pour les grands. 

« Face à un pays complètement fracturé, on a eu envie de donner un sens à notre métier et de pouvoir œuvrer là où on était en mesure de le faire : donc tenter de rassembler les générations, et tenter de rassembler les populations différentes qui ne se côtoieraient pas autrement… Faire en sorte que cette invitation d’aller à un spectacle soit un prétexte pour assoir côte à côte des gens qui ne se seraient jamais fréquentés ». C’est dans cet esprit que le Collectif Kahraba s’est mis à parcourir les quatre coins du pays, d’une région à l’autre. « Les libanais ne circulaient pas tant que ça dans leur propre pays durant cette période (2006-2007). Nous avions envie avec le Collectif de traverser ces frontières, de les briser. De montrer que c’était possible. Et que c’était bien ».

L’envie de décentraliser l’art, même sans en avoir conscience en ces termes là, était donc déjà très présente dans la vision d’Aurélien. « Très naïvement, nous avions un désir d’aller rencontrer les gens et leurs différences. D’apprendre aux contacts de toutes les populations du pays et d’appréhender les multiples réalités de notre petit territoire. Nous ne nous sommes rendu compte qu’après qu’il existait un terme institutionnel qui s’appelait la décentralisation ».

Le Collectif Kahraba, composé de membres libanais et d’autres nationalités, enchaîne les succès et les projets au Liban et à l’étranger. En 2014, Hamana Artist House arrive. Au moment où Aurélien et ses partenaires rencontrent M. Robert Eid, qui avait le projet de construire un centre culturel dans son village, Hamana. M. Eid avait alors pour ambition de refaire vivre le tissu social et l’économie du village. Pendant 3 ans, le projet a été élaboré. En 2017, le lieu est inauguré, avec la dimension en plus qui a été apporté par le Collectif : celle de faire du lieu, un lieu de résidence artistique. Toujours dans cet état d’esprit d’inciter les gens à se rencontrer, à se parler, à débattre, à échanger des idées, à travailler ensemble et finalement à créer ensemble. Hamana Artist House permettra donc la rencontre du public et de l’artiste, la rencontre entre les publics eux-mêmes, et par sa dimension de résidence artistique, la rencontre et la collaboration entre artistes. Autant de liens, de rencontres, de créations qui n’auraient jamais eu lieu ailleurs.

Aurélien n’aura cessé de revenir faire des projets au sein du GLFL. Avec le Collectif, ils sont venus jouer leur créations auprès de nos élèves et à Hamana Artist House ils ont déjà à plusieurs reprises accueilli en résidence des groupes de théâtre du GLFL. « C’est très émouvant d’accueillir aujourd’hui des élèves de mon ancienne école venir en résidence ou atelier à HAH. Et ça nous remet face à cette réalité qui est celle de nos métiers d’artiste : il faut vraiment beaucoup beaucoup beaucoup de temps pour que les choses portent leur fruit. Mais c’est parce que il y a plus de 20 ans j’ai participé aux pièces de théâtre qui étaient montées au GLFL que ma passion est née et a été nourrie et que aujourd’hui je peux accueillir cette jeunesse et leur permettre à leur tour de goûter un peu à ça. Comme quoi pour arriver à un lieu culturel dans la montagne qui accueille des élèves, il aura fallu 25 ans ! »

Une de mes questions habituelles, porte sur la langue française. Je suis toujours curieuse de savoir, en ces temps durs pour la francophonie, si nos anciens ont regretté à un moment d’avoir eu une scolarité en français. « Le français a été la langue à travers laquelle j’ai appris à constituer ma pensée. Qu’aujourd’hui le français me soit utile professionnellement ou pas, d’une certaine manière je suis redevable de cette langue, de toute la richesse, de la subtilité, de la nuance, de la vaste étendue des sens que cette langue porte et propose. Aujourd’hui il est vrai que j’écris beaucoup en anglais (parce qu’on me le demande), j’ai mine de rien appris 4 langues au GLFL mais ma langue de pensée restera le français ».

Le plus gros point positif de son école : la laïcité, « Même si on ne s’en rend pas tout de suite compte quand on est gamin ». Essentielle, primordiale pour lui car le manque de laïcité amène directement à un certain formatage idéologique. « L’école ne devrait imposer aucune croyance et le domaine scolaire devrait être représentatif du tissu social ». « Je pense que cette valeur de laïcité, tant importante au GLFL, a beaucoup compté pour moi. Le fait d’être un enfant et de, très jeune, connaître et côtoyer des enfants de toute communauté, d’horizons très variés, cela a été une grande chance. Connaître cette diversité à 30 ans, c’est trop tard ». « C’est cette laïcité qui a permis la diversité qui nous a, tous, tant marqués dans cette école ».

A la promo 2022, à nos jeunes qui quittent les bancs du lycée, Aurélien leur dira : « Il est normal de ne pas pouvoir se projeter et de ne pas savoir ce qu’on veut faire de sa vie ou ce qu’on veut être quand on a 18 ans. Pour certains c’est très clair pour d’autre non. Et ce n’est pas grave, ça va venir. Il faut commencer par quelque chose, ne pas avoir peur de faire un choix pour les quelques années qui viennent, commencer par certaines études, suivre certaines intentions. De toute façon quoi que vous fassiez, vous allez continuer d’apprendre à apprendre. Il existe un nombre immense de personne qui choisissent des études et qui finalement virent de bord : ce n’est jamais pour rien, on apprend toujours, ça nous permet de nous constituer, ça nourrit notre pensée. Il n’y a pas d’années perdues, il y a toujours des années d’expérience. Le chemin se clarifiera toujours ».

Je terminerai sur cette réflexion forte, je trouve, sur laquelle notre discussion s’est achevée en parlant de la situation difficile de notre pays, du monde en général et de cette jeunesse qui s’apprête, pour une bonne partie d’entre elle, à partir : « L’espoir si il n’est pas là, il faut le construire, il faut le semer et il faut bien que des gens s’y attellent pour que cet espoir existe ». 

Propos recueillis par Dima El-Kurdi