Accueilchevron_rightL’Olivier, Le petit journal du Grand Lycéechevron_rightDeux cultures, trois langues

À l’image du pays où beaucoup de Libanais jonglent aisément avec l’arabe, le français et l’anglais pour comprendre et se faire comprendre, le Grand Lycée défend l’idée du plurilinguisme. La place réservée dans l’établissement aux langues, à la culture ainsi qu’à l’histoire libanaise est considérée comme une des clés de sa réussite pédagogique et éducative. Enquête sur les modalités d’apprentissage à l’école primaire qui forgent le Parcours Langues des élèves de l’établissement.

C’est une heure très attendue par les élèves de cette classe de Moyenne Section, une heure de « bilinguisme » durant laquelle ils ne sont pas avec une maîtresse mais deux : Joumana, leur maîtresse de Français et Tala, leur maîtresse d’Arabe, accompagnées de l’assistante. Au programme : préparation de pâtisseries libanaises. « J’aime quand on cuisine des galettes et des gâteaux en parlant arabe, français et anglais » affirme Laeticia, 5 ans.

« Quand les maîtresses posent des questions, on peut répondre dans la langue qu’on veut, en arabe et en français », confirme sa camarade Dia. En effet, durant cette heure de bilinguisme qui a lieu une fois par semaine de la PS au CM2, les enseignantes de Français et d’Arabe travaillent ensemble pour lire des histoires, apprendre des chansons et s’adonner à diverses activités. « L’idée de bilinguisme n’est pas de faire de traduction, explique Hiam Sfeir, coordinatrice d’Arabe au primaire. Nous ne dispensons pas des heures en demi-groupe Français puis Arabe durant lesquelles nous répéterions la même chose dans les deux langues, mais une heure ensemble où nous nous complétons en conversant et en répondant dans une langue ou l’autre ». Le but, lorsque cette heure de co-intervention hebdomadaire mise en place il y a cinq ans, est d’encourager les enfants libanais ou étrangers qui ne parlent pas la langue arabe : « S’ils n’arrivent pas à s’exprimer dans le cadre d’une activité précise en arabe, alors ils peuvent s’exprimer en français plutôt que ne pas s’exprimer du tout », note la coordinatrice. Cela peut aussi se faire en français/anglais et anglais/arabe afin que chacune de ces langues apparaisse comme une langue de communication et non pas seulement comme une langue de scolarisation, comme c’est le cas pour beaucoup d’élèves, même libanais, dans un des établissements les plus francophones du Liban.

 

« Deux cultures, trois langues »

C’est une des missions principales de la Mlf : mêler la culture française et la culture libanaise avec l’arabe, le français et l’anglais. Il en est de même dans le Parcours Langues du réseau AEFE.

« L’enseignement français à l’étranger repose sur l’éducation plurilingue et pluriculturelle, explique ainsi Christophe Bouchard, ancien directeur de l’AEFE. Cette stratégie de coopération s’appuie sur des valeurs de solidarité, de réciprocité et de partage pour le développement de la diversité linguistique et culturelle dans le monde ».

Bien plus qu’une langue de scolarisation, la langue française occupe une place prépondérante au GLFL : elle est la langue de communication au sein de l’établissement, dans la cour de récréation, dans les couloirs, jusque dans les salles de classes où elle est le support des enseignements ainsi que le tissu sur lequel s’imprime toute une vision du rapport à l’homme et au monde. Dans cet établissement, contrairement à d’autres, c’est la langue arabe qu’il est impératif de revaloriser auprès des enfants mais aussi des parents qui sont encore trop nombreux à négliger le libanais à la maison. « Je parle

arabe mais pas avec mes enfants, affirme un papa lors d’un entretien d’inscription avec Sandrine Lasserre, directrice des cycles 1 et 2. Pour moi, ce n’est pas la langue des jeux ou de la tendresse, je suis plus à l’aise pour ça en français. Mais je ne suis pas très inquiet, je me dis qu’ils l’apprendront avec les copains à l’école ».

Or, pour Sandrine Lasserre, « ce n’est pas vrai, ils vont évidemment avoir des bases mais il ne vont pas pour autant communiquer avec aisance. Il est dur de développer des compétences si on ne parle pas la langue à la maison ou pour aller faire des courses ».

Pendant longtemps, la langue arabe n’était pas mise au même niveau que le français et l’anglais par beaucoup de familles, elle était vue comme moins prestigieuse, plus difficile. Cela commence à changer. La directrice remarque ainsi que « les anciens lycéens, qui ont été dispensés et le regrettent car cela a été un frein à leur carrière professionnelle, font partie de ceux qui encouragent le plus leurs enfants, ayant finalement compris que c’était une part de leur culture et une vraie chance ». Pour elle, il est donc primordial, dès les petites classes, de donner à toutes les langues la même valeur. Hiam Sfeir insiste aussi sur l’importance que cela représentait de valoriser le travail des enseignantes d’arabe : « Le profil de l’enseignante d’Arabe était en recul. C’était l’enseignante de Français qui gérait la classe, maintenant toutes les deux doivent être ensemble et partager les apprentissages ». D’ailleurs, dans les classes, l’affichage des deux langues est toujours horizontal : les panneaux d’explications sont toujours l’un à côté de l’autre et jamais l’un au-dessus de l’autre. « La comparaison aide beaucoup pour acquérir une notion, comme par exemple avec les pronoms, explique la coordinatrice. Les élèves ne sont pas perdus par cette double culture, il faut savoir créer des ponts ».

Avec la maîtresse d’anglais qui dispense, elle, des cours à partir de la MS en demi-groupe, les enseignantes adoptent les mêmes modalités d’apprentissage et harmonisent ensemble leurs pratiques. Les cours de langue ne se cantonnent donc pas à l’enseignement du vocabulaire mais les élèves travaillent aussi sur les rituels du matin (l’appel, la date, la météo), les ateliers, les albums, les chants. Le fonds de la marmothèque en maternelle et de la BCD au primaire est également dans les trois langues. Une documentaliste y propose des animations en arabe aux cycles 2 et 3 et l’équipe éducative a travaillé sur plusieurs ouvrages afin de pouvoir proposer des histoires dans deux ou trois langues différentes.

 

Un passage en douceur du libanais au littéral

Une particularité de l’arabe, est que la langue parlée est différente de la langue écrite. Comme dans le programme libanais, il n’existe pas de programme précis en maternelle, les enseignantes ont été assez libres de concevoir un programme sur mesure avec leurs sept heures d’arabe par semaine. En PS, les enseignantes d’arabe ne font que de la conversation en libanais, puis, le littéral commence en MS et GS avec les « dico-mots » comme en français, mêlés au libanais.

« Il n’y a pas grand-chose adapté aux maternelles. Parfois, nous reformulons nos albums en faisant en sorte de choisir les mots proches du libanais comme ‘kalam’, qui désigne ‘un crayon’ en littéral, pour ‘alam’ en libanais. Lorsque nous demandons aux parents de lire les histoires, ils trouvent parfois cela trop soutenu, ou alors au contraire trop léger et peu intéressant, alors que les dessins sont bien faits », note Hiam Sfeir. L’apprentissage de la langue arabe à proprement parler, de la lecture à l’écriture, débute ensuite en CP où il est introduit à partir histoires littéraires pour le respect de la structure syntaxique et en proposant un lexique plus élaboré mais facilement acquis par les enfants, ce qui laissent parfois les parents sans-voix : « Des parents sont venus me voir, émerveillés il y a quelques jours, parce que leur enfant connaissait les mots ‘coccinelle’ et ‘malin’ en arabe ! confie la coordinatrice d’arabe. Les enfants retiennent des mots difficiles, c’est dans la tête des parents que l’arabe est resté une langue compliquée ! ».

Utiliser la langue comme vecteur d’apprentissage

En maternelle, les équipes travaillent sur des projets pour aider à l’apprentissage des langues, comme ce matin-là où les moyennes sections se relaient à la cuisine du primaire pour confectionner leurs pâtisseries. Cela fait partie d’un projet sur le patrimoine libanais de la maternelle au CM2 dans les trois langues : quand les plus grands font un travail sur l’écriture et sur l’architecture arabes, d’autres mènent des recherches pour parler des régions avec la faune et la flore et élaborent un livre numérique sur les tortues au Liban, les petits de GS construisent des personnages de village libanais et les MS confectionnent des recettes de cuisine. « Cela a du sens lorsqu’on travaille autour d’un thème précis en arabe comme en français. Les élèves acquièrent plus facilement un lexique particulier », explique Sandrine Lasserre. En effet, à l’occasion d’une sortie scolaire en bilinguisme arabe/français sur le thème de l’équitation, « les élèves de CE1 ont fait des séances et créé un petit document sur le cheval dans les deux langues alors que le lexique n’est pas facile en arabe. Ce sont des moments où ils peuvent apprendre du vocabulaire qui n’est pas facile à utiliser », remarque Hiam Sfeir.

Le but est ainsi de renforcer les langues par l’apprentissage, « et il faut reconnaître que les libanais ont une habilité avec les langues, conclut Sandrine Lasserre, nous pouvons aller très loin avec ces élèves ». Pour finir, ces compétences bilingues apparaissent également sur le livret d’évaluation.

 

Le défi de l’hétérogénéité

La problématique principale, dans les trois langues, mais surtout en arabe et en anglais est celle de l’hétérogénéité dans les classes : certains enfants sont complètement anglophones, d’autres très arabophones, d’autres uniquement francophones. «Certains de nos élèves ne communiquent, au départ, pas du tout en français chez eux. Lorsqu’ils arrivent le matin, ils parlent anglais avec la nounou et basculent ensuite en français dans la classe», relève Sandrine Lasserre.

Afin de pouvoir suivre le rythme de chaque élève, les enseignantes ont mis en place un enseignement différencié : à chacun son rythme pour acquérir les mêmes compétences. Il existe en MS et GS une heure d’aide pour les élèves non libanais durant laquelle ils sont regroupés pour travailler, à part, l’oral, le lexique du quotidien et les phonèmes. Puis, à partir du CP, il existe une classe de LV (Arabe langue vivante, en opposition au PL pour le programme libanais) uniquement pour les étrangers car selon la loi libanaise, c’est seulement à partir du CE2 que les élèves libanais qui ont une autre nationalité ou qui ont vécu à l’étranger peuvent demander la dispense. Quand les élèves en PL continuent d’avoir sept heures d’arabe par semaine, ceux en LV en ont cinq et deux heures d’anglais supplémentaires. Les professeurs continuent de différencier dans les classes PL en organisant des groupes selon les niveaux de compétences pour favoriser l’expression orale et insistent constamment auprès des parents pour que l’arabe « dépassent les murs de la classe pour s’installer à la maison et donc dans l’affect de l’enfant. Cela rend les choses beaucoup plus faciles ensuite à l’école », conclut Hiam Sfeir.

L’ambition de l’établissement est de développer au primaire davantage de projets, non seulement bilingues mais trilingues, avec une présence plus forte encore de l’anglais qui jusque-là est surtout développé à partir du CM1. En attendant, fiers sont les petits de MS qui remontent les escaliers, chantonnant leur recette en français et en arabe, leurs pâtisseries entre les mains, avant de les déguster en classe.