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Paroles d’Anciens

Eric Vant Hoff, le stylo sous les bombes

Il est impossible, pour Eric Vant Hoff, de détacher ses souvenirs du GLFL à ceux liés à la guerre du Liban. Ce hollandais arrive en 1975, en classe de Seconde, après avoir passé quelques années en Turquie. Son père est alors en charge de la banque hollandaise à Beyrouth. Quelques semaines après leur arrivée, la guerre éclate et il termine, malgré tout, sa scolarité au GLFL en 1978 avant de regagner la Hollande pour poursuivre ses études. Après avoir travaillé pour Philips comme ingénieur et directeur des ventes pendant 26 ans, il rejoint la compagnie DELL Technology où il est aujourd’hui cadre programmeur dans le big data.

Pourquoi vos parents ont-ils fait le choix du GLFL au début de la guerre civile ?

J’étais au collège protestant depuis un an lorsque les évènements ont commencé. Mon père travaillait à la banque hollandaise de Bab Idriss qui a été détruite et s’est installée dans le quartier de Sin El Fil. Il tenait absolument à rester au Liban pour garder la banque ouverte et a décidé de m’envoyer au Grand Lycée car il était plus facile pour nous, habitant au nord de Beyrouth, d’aller de ce côté de la ligne de démarcation.

Comment réagissiez-vous quand le Lycée fermait ses portes ?

Au début, nous – les élèves – étions contents d’avoir des jours de congés. J’étais membre de l’ATCL à Jounieh et j’allais, pendant ce temps, faire de la natation. Mais mes amis, les discussions avec les professeurs et les cours m’ont rapidement manqué. Nous étions toujours rassurés de revenir car nous avions tout de même le baccalauréat à passer. De temps en temps, quand les ruptures étaient longues, je repartais en Hollande en passant soit par Larnaca en bateau soit par Damas en bus puis en avion. J’y allais tout seul alors que je n’avais que 16 ou 17 ans. Puis je revenais durant les périodes d’accalmies.

Aujourd’hui, cela serait impensable qu’une école garde ses portes ouvertes sachant que certains professeurs ne peuvent pas venir et que les tirs reprennent dès la sortie des cours. Mais la Mission laïque française a eu l’audace et la gentillesse de garder l’établissement fonctionnel le plus longtemps possible afin de nous offrir un petit havre de paix ou nous nous sentions en sécurité et de nous permettre de continuer et parfaire notre éducation.

Quels souvenirs gardez-vous de vos cours ?

Même si ces années ont été marquées par la guerre, je me souviens avoir énormément apprécié la qualité de l’enseignement et des professeurs. J’ai également été très satisfait de ce qu’offrait l’établissement en matière d’activités sportives. Nous jouions notamment au handball, au stade de Chayla. Comme j’étais dispensé de cours d’arabe, j’avais beaucoup d’heures libres et je passais des heures au café d’en face à jouer au flipper et au babyfoot ! (Rires)

 

Quelle était l’ambiance en classe ?

L’ambiance était évidemment tendue, mais nous essayions tant bien que mal d’avancer dans le programme même si plusieurs professeurs étaient absents et que nous n’avions pas cours tous les jours.

Un professeur vous a-t-il marqué en particulier ?

Oui, je me souviens de monsieur Davidian. Il était professeur d’Histoire-géographie et nous faisait des cours en jouant les personnages auxquels il faisait référence. Par exemple, quand il expliquait qui étaient Charlemagne, Louis XIV, Hitler et Charles de Gaulle, il les interprétait comme si nous étions au théâtre. C’était une bonne pédagogie car c’était ensuite très facile de garder ces images en tête. Ses cours m’ont beaucoup intéressé et inspiré.

Dans quelles conditions avaient vous passé votre baccalauréat ?

Pendant les examens, en 1978, nous entendions les bombardements et les tirs. Cela arrivait généralement la nuit mais je me souviens que durant cette période, cela arrivait aussi en journée. Honnêtement, nous avions tellement manqué de cours que je ne pensais pas avoir mon bac, mais en fin de compte, lorsque je suis allé voir la liste des résultats, j’étais du bon côté ! En fait, j’ai eu un score de 80 que les responsables des examens ont fait passer à 105 en jonglant avec mes notes notamment en comptant le néerlandais que j’ai présenté à l’oral comme langue vivante.

Qu’avez-vous fait ensuite ?

Mon père est allé au Maroc et m’a réservé une place au Lycée Lyautey de Casablanca, ne pensant pas que je décrocherai mon baccalauréat au Liban. Il a donc fallu me trouver dans l’urgence une université. Je ne savais même pas ce que je voulais faire. J’ai décidé, dans l’urgence, de faire des études en électrotechnique dans l’est de la Hollande et suis devenu ingénieur spécialisé en informatique. Comme nous avons dû partir très vite, et qu’il n’y avait pas les réseaux sociaux à l’époque, j’ai perdu pratiquement tous les amis que j’avais rencontré à Beyrouth.

Qu’est-ce que ces années au Liban et au GLFL vous ont apporté ?

Le fait que j’ai habité dans une région multiculturelle m’a permis de grandir en appréciant la richesse apportée par ce mélange. Aujourd’hui, alors qu’ici en Hollande, le nationalisme revient comme c’est le cas aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe, cette expérience me permet de voir les choses autrement. Vivre en temps de guerre au Liban m’a également permis de comprendre le monde dans sa complexité en sortant des schémas manichéens. Beaucoup de gens commentent la guerre sans l’avoir vécue. Pour moi, on ne peut pas juger de la misère des réfugiés sans avoir été dans cette situation soi-même. La dernière chose, plus négative, est que j’ai vraiment pu voir et ressentir la puissance de la haine que l’on peut éprouver pour quelqu’un.

Si vous vous retrouviez sans cette situation avec votre fils aujourd’hui, comment réagiriez-vous ?

Cela est très étrange ne me dire que mes parents me laissaient descendre en « bosta » depuis Jounieh puis, en « taxi service » de la place des canons au Musée pour aller à l’école à tout juste 17 ans. Je rasais les murs. Nous écoutions la radio en sortant des cours pour savoir si les snipers tiraient. Peut-être parce que nous étions jeunes ou simplement habitués, nous n’avions pas peur et étions très pragmatiques. On se disaient, « ils ne tirent que le soir, ne t’inquiète pas, tu peux passer ». Aujourd’hui, j’interdirais à mon fils de fréquenter un lieu dans lequel il y a eu un attentat des mois auparavant !