Accueilchevron_rightL’Olivier, Le petit journal du Grand Lycéechevron_rightanciens, Ghassan Moukheiberchevron_rightParoles d'ancien : Ghassan Moukheiber

Ce n’est pas sans émotions que j’entame ces quelques lignes pour vous présenter notre ancien lycéen : M. Ghassan Moukheiber. De l’émotion parce qu’en l’entendant me parler de « son » GLFL, j’y ai reconnu le mien et j’espère que vous y reconnaîtrez le vôtre.

Le Grand Lycée de Ghassan Moukheiber c’est le Grand Lycée du début des années 60 jusqu’en 1975. C’est l’école entre 2 ères. Les premières années c’était encore l’apprentissage de l’écriture à la craie, l’époque des encriers et des plumes (« une pour l’arabe et une pour le français»). Et puis plus tard, sont apparues les calculatrices électroniques et les autres développements technologiques. 

 

Ghassan Moukheiber a fait toute sa scolarité au Grand Lycée de la petite section à la terminale (à l’exception d’une petite escale au lycée Abdel Kader).

Il est aujourd’hui le parrain de la promo 2021, il en est honoré et ce parrainage a un goût bien particulier pour lui puisqu’en 1975, à cause de la guerre civile, lui n’avait pas eu la possibilité, lui, d’avoir de remise de diplômes.

Et pourtant ces années difficiles ne l’auront pas empêché de vivre pleinement ses années solaires.

Il garde un souvenir ému de l’excellence académique qui lui a été permis de suivre, en me citant notamment deux enseignants : M. Jean-Claude Morin, qui reste pour lui le « meilleur enseignant de français de tous les temps » et M. Conchon, enseignant d’arabe qui lui aura appris l’art du débat. Pour un avocat (droit à l’USJ puis à la Harvard Law School aux Etats-Unis), il est facile de comprendre l’impact qu’ont pu avoir ces deux enseignants… Et c’est bien ces deux langues qu’il aura appris à maîtriser et dans lesquelles il finira par exceller. « Aussi bien en arabe qu’en français» comme il me l’aura lui-même rappelé. 

Mais plus important que l’excellence académique, nous avons longtemps discuté des valeurs fortes et fondamentales qu’il aura acquises lors de ses années scolaires. Ces valeurs qui sont pour lui le fondement même de ce qu’il est, et très probablement de ce qu’il a accompli par la suite.

Aujourd’hui à 62 ans, il reste très proche de ses camarades lycéens. Ces amitiés d’école qui sont les plus pures parce que dénuées de tout intérêt et de tout « profit ».

Ce qu’il faut bien comprendre c’est que, ce qui aujourd’hui, dans cette ère du numérique et des réseaux sociaux, nous semble banal (oui avec facebook il est facile de rester en contact avec mon ami de l’école primaire..), ne l’était pas du tout à l’époque. Et encore moins dans une époque aussi perturbée que les années 70 au Liban. Et pourtant… Ghassan Moukheiber et ses amis lycéens partagent un groupe « whatsapp », partagent des liens tissés à l’époque qui restent aujourd’hui très forts, partagent des valeurs de vie et des convictions de pensée communes, et tout cela notamment car ils ont vécu leurs années d’apprentissage de la vie ensemble dans un même univers de laïcité, de respect de l’humain, de pluralisme, de mixité religieuse, de mixité sociale et culturelle très forte, et même d’une importante diversité de nationalité. 

Ghassan Moukheiber se rappelle cette anecdote, aux débuts des conflits, en classe de première assis à côté d’un camarade de nationalité française, le moment où ce dernier lui demande « qui » dans la classe est de « quelle » confession, être incapable de lui répondre car il ne le savait tout simplement pas. Le respect de l’Autre faisait fondamentalement partie de son enseignement. Et comme il me le dit : « nous n’avions pas de cours de laïcité ou de respect, c’était juste dans cela que l’on baignait». La laïcité dans son sens le plus entier, parce Ghassan Moukheiber est un croyant, un grand croyant et en même temps un grand laïque. Et il me dit que c’est son école qui lui a enseigné cette nuance : être fortement croyant et en même temps fortement laïque.

Il aura eu des amis de toute confession, de toute communauté, de tout penchant politique. La politique était interdite à proprement parler au sein de l’établissement, c’était un lieu de neutralité politique et c’était là selon M. Moukheiber une vraie protection pour les enfants. Mais cela n’a pas empêché les élèves d’apprendre l’art du débat et de développer leur esprit critique.

C’est également grâce à son école qu’il aura eu ses premiers engagements associatifs. Dans les années 1973-1974 a eu lieu au stade de Chayla la première grande exposition sur l’écologie au Liban. Et c’est à cette occasion que G. Moukheiber fait ses premiers pas dans le monde associatif en co-fondant une association pour l’environnement. Son engagement associatif se poursuivra notamment dans la lutte pour les droits de l’homme. Cet engagement citoyen, social, associatif le mènera tout naturellement plus tard à son engagement politique que l’on connaît tous. 

Je lui ai bien sûr demandé quel serait le message qu’il aimerait faire passer aujourd’hui aux élèves du GLFL. Il a tout simplement répondu qu’il aimerait vraiment que les élèves d’aujourd’hui se rendent compte de la chance qu’ils ont et de réaliser le bonheur de cette vie d’écolier. La rentrée en société est de plus en plus difficile et le Lycée a réussi à maintenir autant que possible cette tradition de mixité. « Ce temps à l’école est un temps béni qu’il faut vraiment savourer ». Il me répète que ce qu’il vivent au lycée c’est un peu de rêve pour un Liban que nous avons un peu perdu et qu’il faut reconstruire : un Liban de tolérance, de diversité, de pluralisme, de respect et surtout ne pas oublier cet esprit critique, « cette valeur de l’insolence » comme il la nommera que le GLFL inculque grâce à ces valeurs de respect. Il leur dit bonne chance, leur souhaite de trouver leur propre chemin mais de ne jamais oublier leur engagement envers la société, envers les autres. Cet engagement citoyen est une obligation dit-il et il invite à ne jamais oublier. « Et même s’ils quittent le Liban, qu’ils ne l’oublient pas. »

Je terminerai juste par cette phrase qu’il m’a dite lors de notre entretien et qui m’a laissé un goût doux et amer à la fois : « Ce Liban dont nous rêvons tous aujourd’hui, et bien nous, nous le vivions à l’époque tous les jours dans notre école. »

 

Dima El Kurdi