Accueilchevron_rightL’Olivier, Le petit journal du Grand Lycéechevron_rightLa Formation au travail en distanciel

Enseignement à distance: comment se forment le personnel et les élèves?

Lorsque l’établissement ferme ses portes aux élèves début mars, les professeurs continuent de venir assister aux réunions dont l’objectif est de palier l’absence physique des élèves en trouvant divers moyens de travailler en distanciel. Une semaine plus tard, le confinement est déclaré. Entre réunions à distance, tutoriels en ligne, autoformation, comment le personnel a-t-il réussi à relever le défi et s’adapter en un temps record afin de garder le lien avec les familles ? 

La découverte de Pronote au primaire

Au primaire, aucun moyen numérique n’était jusque-là mis en place pour le travail en distanciel. Alors qu’enseignantes et parents étaient en lien à travers le cahier de texte et le carnet de correspondance de l’élève, ils se sont naturellement tournés vers une plateforme qui avait largement fait ses preuves dans le secondaire ces dernières années : Pronote. « L’idée était surtout de mettre en ligne du travail et de communiquer avec les parents, et pronote le permettait », explique Elie Traboulsi, Conseiller principal d’orientation au GLFL. Avec ses collègues Maya Metni et Michel Younes, ils ont traversé les cours du collège et du primaire pour aller à la rencontre des enseignants de la maternelle au CM2. « Il n’y a pas eu de grandes difficultés sinon le stresse que cela provoquait car c’était un nouvel outil, nous étions dans l’urgence. Les enseignants n’étaient pas préparés et beaucoup étaient paniqués à l’idée de ne pas bien faire ou pas en faire assez, assez vite » confie Maya Metni. Jusque-là, les enseignants n’utilisaient Pronote en classe que pour faire l’appel, et il a fallu en une matinée qu’ils se l’approprient quand, de l’autre coté « les parents étaient déjà dans l’expectative et ils sont particulièrement exigeants avec les enseignants du primaire », note Elie Traboulsi. Les trois CPE ont donc rencontré trois groupes d’enseignants pour leur expliquer comment remplir le cahier de texte, joindre des fichiers, envoyer un message uniquement à une famille ou une classe entière. « Je salue leur volonté d’apprendre, continue Elie Traboulsi, ça reflète combien ils tiennent à être à la hauteur d’eux-mêmes et de la direction. Ils ont cherché à comprendre et à être performant dans le travail électronique. Personne ne s’est plaint, même les maîtresses qui sont à la fin de leur carrière prenaient des notes, m’ont posé des questions ensuite par téléphone. En deux jours, c’était maîtrisé », affirme Elie Traboulsi. Pour Maya Metni, tout ce travail n’est pas en vain : « Je pense qu’ils continueront de s’en servir même en présentiel, d’autant plus que le site d’Index éducation prépare pour la rentrée une version destiné au primaire. Cela peut être un outil utile pour les parents qui passent souvent beaucoup de temps sur les groupes WhatsApp pour savoir si leur enfant a raté quelque chose en classe », conclut la CPE.

Une fois lâchés dans le grand bain, les enseignants du primaire se sont appropriés les outils, ont échangé des conseils et astuces par téléphone, se sont consultés une fois par semaine en visioconférence et sont eux-mêmes aller chercher de nouveaux outils complémentaires. « Pour Class dojo, nous nous sommes auto-formées en regardant les tutoriels sur YouTube, explique Diala Malah, enseignante de Grande section qui se sert de cette application pour échanger quotidiennement avec les parents et leurs enfants avec qui elle ne peut passer que par l’oral et le visuel. « La première semaine j’étais un call center pour aider les parents à s’approprier cette plateforme ! s’amuse-t-elle. Elle nous permet aujourd’hui d’avoir un retour sur les activités postées sur pronote. Les parents partagent des photographies des travaux de leurs enfants, des vidéos où nos élèves reviennent sur les histoires que nous travaillons… D’autre part, nous pouvons traduire le contenu dans des dizaines de langues donc une maman anglaise et une maman russe utilisent cette fonctionnalité pour comprendre mes indications. Pour finir, c’est une application, donc si l’ainé est branché sur l’ordinateur, ils peuvent l’utiliser de leur portable ». Tous se sont mis à Zoom pour une à trois sessions par semaines afin de garder un lien affectif et pédagogique avec les plus jeunes. « Nous réfléchissons en ce moment aux évaluations que nous pouvons mener à distance, termine Diala Malah, sachant que les parents sont à côté et que certains aident leurs enfants et leur soufflent les réponses ». Face aux questions soulevées par cette nouvelle façon d’enseigner, les enseignants vont également chercher des réponses sur le forum pédagogique du réseau Mlf.

 

Premiers pas sur G Suite au secondaire

Suite aux divers blocages de l’automne dernier et aux arrêts de cours ponctuels en cours d’année, l’établissement cherchait déjà cet hiver un système qui pourrait permettre de continuer l’enseignement à distance, en cas de nouvelles fermetures de l’établissement. « Comme je suis invitée aux réunions des comités numériques des établissements de la Mlf, explique Laura Saba, cheffe du service informatique du réseau Mlf Liban, j’ai entendu parler de la plateforme Google classroom utilisée dans plusieurs pays, réputée comme étant pratique et conviviale ». Début mars, elle a conçu les adresses mails pour les élèves et les professeurs du collège et du lycée et Patrice Rosenberg, professeur de Philosophie dans l’établissement qui avait déjà pu utiliser G Suite dans son ancien établissement à Madagascar, commençait à rencontrer ses collègues coordinateurs des différentes disciplines afin de présenter l’alternative et leur en expliquer le fonctionnement. « L’utilisation de classroom est neuve pour l’ensemble des collègues puisque la plateforme n’existait pas au GLFL. Cela a été précipité par les évènements de l’automne puis la crise sanitaire mais il était, de toute façon, prévu que ce soit un accompagnement pédagogique associé au présentiel », confirme Patrice Rosenberg. Dans l’urgence, plusieurs professeurs formateurs se sont rendus dans les concertations disciplinaires pour initier leurs collègues, une formation a réuni une quarantaine de personnes : « C’était un suivi au maximum et au quotidien, explique le professeur. Ça a été dans un premier temps dans la salle des professeurs en répondant aux questions des collègues puis par téléphone et par mail au début du confinement. Comme tout outil informatique, quand on le découvre, on est bloqué par un certain nombre de petites choses dans l’usage des fonctionnalités de la plateforme : comment rendre un devoir, comment renvoyer des documents, partager à chaque élève individuellement ». Dans chaque équipe disciplinaire, des professeurs se sont portés volontaires pour venir en aide à des collègues en demande afin d’harmoniser leurs pratiques sur les différentes classrooms.

Coté élèves, il en était de même : « Même si je suis très habile sur les réseaux sociaux, je n’avais jamais utilisé de plateformes comme classroom, avoue Christy, élève de 4H. Au départ je ne comprenais pas très bien comment fonctionnaient les cours, comment rendre mes devoirs, comment accéder aux quiz d’évaluation. J’ai pu m’adapter, d’une part, en me formant par moi-même en explorant les applications et, d’autre part, à l’aide des professeurs qui nous ont envoyé des tutoriels et aidé dès les premiers jours du confinement ». S’il n’y avait pas eu cette précipitation liée à la crise, le Grand Lycée souhaitait les familiariser progressivement avec l’outil lors de séances informatiques. « Là, il a fallu leur donner les clés de fonctionnement alors qu’on n’était plus en présentiel, c’était laborieux », relève Patrice Rosenberg. Comme au primaire, les équipes du secondaire réfléchissent en ce moment aux divers moyens d’évaluer. « L’évaluation est possible mais certains élèves font le devoir et l’envoient aux autres, d’autres se servent d’internet, d’autres encore reçoivent l’aide d’un professeur qu’ils payent. Elle doit être scénarisée, avec une interaction permanente. Il faut développer des stratégies comme le travail en groupe qui limite la triche, répondre de manière orale sur des enregistrements ; nous échangeons sur ce point en permanence », rassure le professeur.

L’établissement a mis à disposition huit tutoriels sur YouTube et un dossier partagé sur le drive de G Suite pour expliquer chacune des fonctionnalités de la classroom : « Certains existent déjà sur internet mais l’idée était de faire des tutoriels plus adaptés à la réalité présente de la plateforme et aux attentes particulières du réseau et surtout du Grand Lycée », résume Patrice Rosenberg. Au fur et à mesure, tout le personnel du GLFL s’est aussi auto-formé en testant des fonctionnalités entre collègues, comme avec Laura Saba. « Je fais une veille quotidienne, confie la cheffe du service informatique du réseau Mlf Liban. Même en vacances, je lis sur le sujet, me forme sur le forum pédagogique Mlf qui fournit beaucoup de tutoriels ou de cours en lignes sur différents outils et méthodes, je teste les nouvelles fonctionnalités de la plateforme, je communique avec les équipes et la direction, je teste des éléments avec quelques professeurs et des collègues en Italie, en Espagne… Les Libanais sont perçus comme ayant été très réactifs sur le réseau, nous avons intégrés des réunions régionales et mondiales et nous en avons même animées ». Les logiciels eux-mêmes avaient des failles qu’il a rapidement fallu combler, notamment avec les applications Meet et Zoom, s’agissant de la sécurité et des intrusions. « Dans ce cas, nous avons fait directement appel aux équipes directs de Google pour empêcher à des élèves d’interagir, s’exclure ou accepter la venue d’étrangers au groupe », précise Laura Saba.

 

Une posture à réinventer

La réflexion menée en parallèle de la formation aux outils, est au sujet de la pédagogie en elle-même. Les enseignants ne peuvent pas transférer directement ce qu’ils font pédagogiquement en présentiel sur du distanciel ; il leur faut adapter leur contenu et leurs méthodes et ils travaillent ainsi pour maîtriser l’outil en même temps qu’ils cherchent à ajuster leur enseignement. « Enseigner à distance, c’est enseigner à partir d’un lieu qui est chez soi et c’est la même chose pour l’élève qui va interagir. Il faut donc apprendre à gérer l’acte d’enseigner et d’apprendre avec sa propre intimité », explique Patrice Rosenberg. En effet, l’enjeu est de conserver un dispositif pédagogique de professeur à élève, différente d’une discussion par un système de visio amical utilisée dans un réseau social : « Le rapport entre professeur et élève est modifié si ce dernier est allongé dans son lit avec le téléphone comme il parlerait à ses amis ». A ce propos, la direction du GLFL met en place une Charte qui permettrait d’être conforme au droit, de protéger la personne du professeur et la personne de l’élève, et de définir les postures et comportements à adopter pour garantir le succès de cette méthode. En attendant, parents et enfants ont dû mettre en place un système qui permette à l’élève de garder une certaine routine et certaines règles : « Chaque jour, je me lève à 8h et prépare les outils que je vais utiliser : mon ordinateur, mes livres et mes cahiers, explique Antoine, élève de 4H. J’ai aménagé ma chambre afin d’avoir à portée de main tout ce dont j’ai besoin. Concernant les élèves qui travaillent dans leurs lits, je ne trouve pas ça correct car c’est un manque de respect envers l’enseignant et ce n’est pas un lieu où on peut se concentrer. Durant les évaluations, nous pouvons tricher assez facilement, je dois donc me faire violence et m’auto-discipliner pour ne pas regarder sur le téléphone ou dans mes cours. Apprendre de la maison est une première et cela nous oblige à avoir beaucoup de rigueur pour réussir ».

                  La vie scolaire aussi continue de se former sur les différentes plateformes, entre adaptation et redéfinition de certaines de ses fonctions. Elie Traboulsi, Maya Metni, François Nasr et Michel Younes tous les matins, vérifient l’appel sur Pronote pour contacter les parents des élèves absents aux sessions en ligne. Pour les perturbations de cours, ils ont mis en place un système d’exclusion : « Le professeur signale un incident en citant un élève dont il est sûr, nous décidons d’une exclusion de trois jours à une semaine, j’en informe les parents et contacte Anthony Soghomian, informaticien au GLFL, qui suspend son compte et ses accès, développe Maya Metni. On constate les problèmes, on invente des solutions pour maintenir une vie scolaire ». Le plus difficile, confient les CPE des lycéens, est de faire en sorte que leurs élèves gardent le moral et restent motivés, notamment suite aux annonces de l’annulation des épreuves écrites du baccalauréat et la non prise en considération des évaluations faites en distanciel dans le contrôle continu : « Avant les vacances de pâques, au bout d’un mois, les élèves étaient fatigués, note Maya Metni. J’ai dû faire une séance de coaching avec un élève de Terminale par téléphone, je lui ai dit ne pas rester en pyjama le matin, de faire du sport, de bien s’alimenter, de s’aérer sur le balcon lorsqu’il s’ennuie. Pour m’assurer de leur bien-être, j’ai dû m’auto-former et improviser en leur proposant de faire ce que je faisais moi-même pour ne pas être déprimée et abattue ».

En revenant en présentiel, le personnel sera désormais formé et les élèves garderont leurs adresses pour le reste de leur scolarité. Ils devront donc faire un bilan et réfléchir au moyen de conserver ces outils en en faisant un usage efficient, complémentaire, et non chronophage comme cela a pu être le temps dans une situation d’urgence. « Pour moi, un retour en arrière serait dommage, conclut la cheffe du service informatique Mlf, également mère d’un élève de cinquième. Au niveau de la pédagogie, cela permet à l’enfant de suivre son propre rythme, de revenir en arrière s’il a des troubles de l’apprentissage. Cela encourage également à travailler plus en interaction, avec un système de classe inversée, à responsabiliser les élèves davantage comme cela se fait depuis des années dans certains pays européens et en Amérique du nord ».