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Ghada Hatem « Le Grand Lycée, c’était ma maison »

Le magazine français Elle la désigne comme « la Dr House des femmes » et le magazine médical en ligne Medcape comme une « une wonder woman au service des femmes ». Ghada Hatem-Gantzer est gynécologue-obstétricienne : elle a été chef de service à la maternité Delafontaine de Saint-Denis, qui accueille chaque année environ 4 000 naissances, avant de fonder La Maison des femmes, première structure en France à offrir une prise en charge globale des femmes victimes de violences. Ghada est une ancienne du Lycée, de la promotion 1977, et sera, cette année, la marraine de la promotion 2020. Retour sur quinze ans de scolarité du GLFL et une enfance à Beyrouth liée à cet établissement qu’elle appelle, sa « maison ».

Comment êtes-vous arrivée au Grand Lycée ?

Mes deux parents sont libanais et ont fait leurs études dans des écoles françaises mais religieuses. Ils étaient très francophones et, pour eux, le GLFL était une option évidente. Si bien que, lorsqu’ils ont eu des enfants, ils ont acheté un appartement dans une rue adjacente au Grand Lycée pour m’y envoyer, avec mes trois frères.

Comment a commencé et s’est terminée votre scolarité ici ?

Mon histoire avec cette école commence avec « Les bébés roses » ! (Rires) C’est ainsi qu’était appelée la maternelle dans les années 60. Je suis toujours amie avec les fils de la directrice des bébé roses du GLFL ! Puis j’y ai fait toute ma scolarité complète jusqu’à la Seconde. Cette année-là, 1975, nous avons dû arrêter les cours en avril avec le début des événements. En Première, j’ai fait quinze jours d’école puis je suis allée dans un établissement à la montagne, où nous nous étions refugiés. La Terminale a ouvert à nouveau en janvier 1977, nous avons donc fait les programmes de Première et Terminale en même temps et avons dû beaucoup réviser tous seuls pour pouvoir retrouver un niveau correct et enfin passer le baccalauréat.

Comment considériez-vous l’établissement ?

Le Grand Lycée, c’était ma maison ! Quand nous y allons de trois ans à dix-huit ans, il y a une identification très forte à cette école. Je suis reconnaissante à mes parents de m’avoir mise là ; je ne me serais pas retrouvée dans une école religieuse. C’est plus qu’une question de valeurs, l’école faisait écho à qui j’étais vraiment.

J’ai trainé dans toutes les cours, celles des maternelles, et évidemment sous le préau ! Je faisais du basket, de la danse classique, du théâtre, c’était un lieu de vie. Recevoir cet enseignement de qualité était une chance. Et aussi, bénéficier de cet esprit « Charlie hebdo », cette liberté de pensée, de s’exprimer, de s’offusquer et même se moquer, tout en faisant preuve de respect.

Quels professeurs vous ont marquée ?

Jean Claude Morin, l’auteur, critique, metteur en scène, qui a imprégné des générations entières de lycéens au Liban. Un couple aussi, monsieur et madame Laloy ; elle enseignait le Français, lui la Philosophie. Un professeur d’Histoire-géographie qui était d’une liberté de pensée et d’une richesse intellectuelle ! Et certains jeunes enseignants, des détachés militaires français qui apportaient avec eux un parfum de France, un parfum de liberté. On pouvait parler librement et confiants, c’était très important pour nous parce que nous avions conscience que ce n’était pas le cas partout au Liban.

 N’ayant pas pu profiter pleinement des dernières années de lycée à cause de la guerre, avez-vous gardé des amitiés ?

Je suis restée en contact avec quelques personnes mais le fait que je ne sois pas revenue au Liban n’a pas beaucoup aidé. En Terminale, une jeune fille venant du collège protestant est arrivée dans ma classe. Nous étions les deux seules filles dans ma classe section scientifique et nous sommes devenues inséparables. Nous avons fait médecine ensemble, nous avons vécu ensemble et aujourd’hui, nos enfants se voient ! Et puis, il y a un lien douloureux, c’est celui avec Samir Kassir. Il était un an plus jeune que moi mais nous sommes devenus amis au lycée, et j’ai mis au monde ses deux filles.

Vous êtes ensuite partie en France, une fois le bac en poche…

Jusque-là, on pouvait faire nos études à l’USJ et notre spécialité dans la faculté de Lyon. Mais cette année était celle où, en pleine guerre, la France s’était désengagée du soutien qu’elle apportait à la faculté de médecine de Beyrouth. Deux de mes frères étant partis, et je suis aussi partie pour Paris dans le but d’apprendre un métier. Ce n’était pas du tout le projet de départ, quand on part en pleine guerre, on n’est pas très fière. Mais le fait que j’ai fait ma scolarité au Grand Lycée m’a permis de tout de suite être acceptée à la faculté de médecine de Paris-Descartes, cela a été une chance.

Je suis arrivée à Paris. J’avais lu Sartre, Camus sur les bancs de l’école, à Saint-Germain-des-Prés, je me suis sentie chez moi ! Puis, j’ai été interne dans plusieurs hôpitaux de Paris, ma fille est née. Mon mari est français, nous avons fait notre vie ici.

Vous avez fondé, en 2016, la Maison des Femmes à Saint-Denis, dans la banlieue parisienne. Qu’est-ce qui vous a poussé à ouvrir cette association pour les femmes violentées ?

J’ai été élevée au Liban. Dans une société patriarcale où il est évident que les femmes, même s’il y a un dehors d’émancipation, de liberté, de maquillage, vivent dans un machisme puissant, une frustration sexuelle palpable, des agressions sexuelles omniprésentes. Puis, j’ai été Chef de la maternité de saint Denis et je côtoyais des femmes d’origines différentes, vivant dans beaucoup de communautés où la place de la femme est catastrophique. J’ai ainsi été profondément convaincue que les femmes devaient gagner en autonomie.

Au moment de reconstruire le planning familial, j’ai eu envie d’en faire un lieu encore plus ouvert sur les difficultés qu’ont vécu les femmes : les violences communautaires terribles, le tabou de la virginité, l’excision, l’interdiction de rapport avant le mariage, le mariage forcé, les violences sexuelles et les violences conjugales.

Vous arrive-t-il de repasser devant le lycée, lorsque vous êtes de passage à Beyrouth ?

Oui, notre appartement est toujours dans le quartier du GLFL donc je passe devant. Et j’ai toujours un gros pincement au cœur. C’est un endroit spécial à mon cœur. Je suis rentrée, une fois, il y a quinze ans, cela avait beaucoup changé. Les retrouvailles, même virtuelles, vont être très émouvantes.

Vous allez être la marraine de la promo 2020. Comment avez-vous réagi à cette proposition ?

Brice Léthier m’a entendu intervenir dans une émission radiophonique française et j’ai dû parler du Liban. Il s’est renseigné par un ami commun et m’a écrit : « en vous écoutant, j’espérais que vous seriez une ancienne du lycée ! ». (Rires) Je suis émue, honorée, flattée. Quelque part, c’est une juste reconnaissance, c’est aussi rendre un peu tout ce que ce lieu m’a apporté.

Quel message voudriez-vous envoyer aux élèves, aujourd’hui ?

Je pourrais revenir sur la chance d’avoir été à cheval sur deux cultures. C’est une des richesses qu’on a avec les deux pays en perfusion, nous sommes beaucoup plus riches ! Un autre message serait de rappeler que lorsqu’on est élevé dans une liberté de penser, quelque chose nous rend acteur de notre vie. Sans prêt-à-penser, c’est à nous de faire le choix de nous construire. Être élevé dans cette exigence de penser par soi-même et donner le meilleur de soi-même offre une liberté incroyable, il faut s’en saisir dans tous les domaines de sa vie.