Accueilchevron_rightL’Olivier, Le petit journal du Grand Lycéechevron_rightLes Arts Plastiques au Grand Lycée

Créer pour parler de soi

Alors que l’année scolaire touche à sa fin, Sandra Helou et Zena Sabbagh, professeures d’Arts plastiques et responsables de l’option Arts Plastiques au GLFL, lancent une plateforme tumblr afin d’exposer les derniers travaux des lycéens. À cette occasion, elles reviennent sur leurs différentes missions pédagogiques auprès des élèves : approfondir les techniques académiques et leur interprétation, dessiner pour créer, communiquer et dialoguer avec les Arts les sciences et les technologies et, enfin, collaborer et partager pour construire un projet.

Une salle d’exposition virtuelle

Cela faisait déjà plusieurs années que Sandra Helou, professeure d’Arts Plastiques au GLFL, pensait lancer une plateforme numérique pour partager les travaux de ses élèves de l’option Arts Plastiques, de la Seconde à la Terminale. « Les gens croient souvent que le travail d’Arts Plastiques est décoratif ou sert juste à illustrer des travaux des professeurs de Français ou de Langue alors que c’est une discipline à part entière et elle avait besoin de visibilité », affirme la professeure. Chaque année, les élèves devoilent leurs travaux lors d’expositions ponctuelles à l’école ou de façon permanente dans les couloirs ou les halls de l’établissement, mais cette année, à cause de la situation sanitaire et la fermeture de l’établissement aux élèves, celles-ci n’ont pas eu lieu. De plus, les élèves de Terminale, eux, ne présentent jamais leurs créations, rangées dans un dossier pour être présentées à l’oral du baccalauréat. « Comme, cette année, l’oral n’a pas eu lieu, explique Sandra Helou, nous saisissons l’occasion pour montrer ces travaux au plus grand nombre ». Pour ce faire, elle a choisi la plateforme tumblr, accessible depuis le portail du GLFL : un espace numérique ludique, facile d’accès, dont se sont vite emparés les lycéens pour mettre en ligne des vidéos prises pendant les moments de création en cours, des montages de leurs installations artistiques, des dessins avec des animations, des photographies, des films, accompagnés de courtes légendes ou de textes plus longs faisant part de leurs démarches artistiques. « Les élèves ont rarement l’occasion d’expliquer leur travail. Pourtant, cette discipline invite à rechercher, à analyser, à proposer un retour réflexif sur leurs pratiques. Sur tumblr, ils expliquent leurs démarches, leurs questionnements plastiques, comment ils ont expérimenté avec les matières, quels outils et quels supports ils ont utilisés », développe Sandra Helou.

Ainsi, Clara Obeid, en TS1, se demande dans sa vidéo « Visual Music » : « Devant une œuvre-multiple, peut-on considérer chaque constituant comme une œuvre à part entière? Peut-on à travers la synesthésie remettre en question la notion d’œuvre, brouiller les sens, dérouter le spectateur? » avant d’expliquer sa démarche artistique. Il en est de même pour Sarah Matta, une ancienne élève dont l’œuvre « Chaos urbain » de 2019 est composée de deux tableaux sur Beyrouth, qui écrit : « Je vis au milieu d’une ville qui ne s’arrête jamais, une ville qui change tout le temps, qui bouge tout le temps. À chaque fois que je regarde par la fenêtre ou que je sors dans la rue je suis submergée par une multitude de lumières et de lignes, d’ombres et de figures, et j’ai voulu essayer de représenter cette multiplicité ». « Ces textes sont très intéressants, note la professeure Zena Sabbagh, car ils montrent à quel point les élèves cherchent à comprendre ce qu’est le sens de l’Art. Nous ne réfléchissons plus à ce qui est beau et ce qui ne l’est pas mais nous voyons l’Art comme un langage qui aide à s’exprimer, à communiquer ».

Un espace propice à la création et au dialogue

 Les élèves de l’option Arts Plastiques, comme tous les collégiens, ont accès à un « Pôle artistique » depuis 2010 au GLFL : des salles entièrement dédiées à la création artistique avec l’espace et le matériel qui fait la fierté de ces enseignantes. « Jusqu’à il y a dix ans, les élèves avaient cours dans la salle C111, une salle de classe comme les autres. Ils apportaient du matériel stéréotypé, pour tous faire le même projet », se souvient Sandra Helou à qui il a semblé indispensable d’avoir un espace propice à la création avec plus de place et de matériel. Aujourd’hui dans une salle qui fait presque deux fois la taille d’une salle de classe et qui dispose de six ordinateurs portables et d’une remise pour le matériel, on trouve de l’argile, du carton, du plastique, du papier métallique, des rouleaux kraft, des toiles de toutes les tailles… « Si nous voulions respecter le programme officiel, nous devrions avoir une salle indépendante avec du matériel et de l’espace. Comment les élèves peuvent-ils s’exprimer, créer dans de petits espaces ? s’interroge la professeure. Certains ont besoin de plusieurs mètres autour d’eux pour faire leur travail et d’autres de touts petits espaces à l’écart des autres élèves ». En effet, pour son projet « Des miettes de souvenirs » Natalie Noujaim a tout poussé dans la salle pour avoir trois mètres de disponibles afin de déchirer de vieux dessins qu’elle a assemblés sur un drap blanc tacheté et sur lequel elle a laissé couler de la peinture colorée. Dans le texte qui accompagne les images elle explique : « Le but pour moi est en partie de permettre aux autres de vivre le moment de la réalisation. La peinture projetée montre le mouvement, l’énergie du moment. Et d’autre part, de stopper le temps en faisant un retour en arrière, les couleurs vives et les dessins sont un clin d’œil à l’enfance ».

Cet espace invite aussi au dialogue. Durant les cours d’option, des débats sont parfois mouvementés lorsqu’il s’agit de commenter un mouvement artistique ou le travail d’un artiste : « Pour le bac, les élèves devaient aborder l’œuvre de Bill Viola, explique Sandra Helou. Ils avaient face à eux l’image de trois écrans, d’un côté une femme en train d’accoucher et de l’autre un homme en train de mourir. Certains voulaient en parler, d’autres perturbés sortaient de la salle mais revenaient participer au débat suscité par cette œuvre dérangeante, et c’est cela qui rend le cours d’Arts Plastiques passionnant ».

 Des contacts avec le monde professionnel

Autre aspect de l’option Arts Plastiques, les élèves rencontrent régulièrement des professionnels de l’Art : plasticiens, graffeurs, architectes ou encore des professeurs de l’Académie libanaise des Beaux-Arts. « Les professionnels comme Jalal Toufic, Gregory Bouchakjian, Nadim Karam leurs parlent de leurs productions ainsi que des parcours artistiques qu’ils peuvent envisager. Certains leur ont apporté des techniques inédites comme la presse, Photoshop… D’autres encore sont venus au Grand Lycée débattre des questions plastiques de la représentation et la présentation qui sont au cœur de leur programme », explique Sandra Helou. Il arrive aussi que les élèves sortent des murs de l’établissement pour devenir entièrement acteurs d’une démarche artistique. En 2015 par exemple, la photographe Cyrille Karam et la plasticienne Youmna Geday ont initié les élèves à la mise en place d’une exposition, de la mise en scène de leurs travaux, à la création d’espaces pour la présentation des productions plastiques et audiovisuelles. Suite à quoi ils ont organisé l’exposition « Odd echos » dans une galerie à Hamra en faisant eux-mêmes des plans des salles, des maquettes, en choisissant les dimensions, les cadrages et les supports. Ils ont ainsi exposé d’immenses photographies collées sur les murs comme un papier peint et en ont accroché d’autres sur des papiers transparents mobiles, certaines étaient également projetés sur des rideaux. Une autre rencontre, prévue cette année mais qui a été décalée, est celle avec la performeuse Nour Awada au cours d’un week-end en résidence à Douma. Il était prévu qu’elle donne aux élèves de l’option Arts Plastiques un atelier de trois jours qui devait aboutir sur une performance collective ou individuelle filmée par les élèves de l’option Cinéma-Audiovisuel du GLFL.

Mais, pour les professeures, il n’est pas question de limiter ces rencontres au monde de l’Art. « Je pense qu’il faudrait décloisonner la discipline en aidant les élèves qui ne vont pas forcément aller vers des métiers en lien avec le design, l’architecture ou les Arts graphiques à utiliser cette vision, cette sensibilité, et toutes ces compétences dans leurs études et sur le marché du travail. C’est très idéaliste les Arts plastiques, mais c’est très utile parce que ça les forme à la vie finalement. Ils acquièrent des compétences qu’ils peuvent utiliser dans tant de domaines ! » affirme Sandra Helou. « Un chirurgien, par exemple, ajoute Zena Sabbagh, il passe la première année de ses études à dessiner pour développer la motricité de la main. De plus, le meilleur chirurgien ou architecte est celui qui va avoir une vision qui va précéder les autres, visualiser, réfléchir différemment, sentir des tendances, être précurseur de quelque chose. Les élèves développent cette compétence durant les cours d’Arts Plastiques ».

Un entraînement à la réflexion et à l’expression

Pour de nombreux élèves, de la sixième au lycée, ces rencontres, ces ateliers, ces voyages, ces expérimentations sont enfin le moyen de se découvrir et de s’exprimer. « En sixième ils ont peur car ils disent ne pas savoir dessiner. Mais qu’est-ce qu’un dessin ? Petit à petit, ils comprennent ce qu’est le sens de l’Art. Arrivés au lycée ils commencent à se libérer de tout ce qu’il y a de déjà-vu », affirme Zena Sabbagh. « C’est vrai que souvent, ils recopient ce qu’on leur donne. Il faut libérer l’élève de ce qui trouble sa vérité. Les faire parler de leurs recherches et de leurs expérimentations », continue sa collègue. Ainsi, depuis la sixième, les professeurs aident leurs élèves à développer un jugement, une sensibilité et se servent de l’Art dans la formation de la personne, comme vecteur d’épanouissement. Cette année, elles ont d’ailleurs mis en place, avec les professeures de Musique, un oral d’Histoire des Arts pour les élèves de 4e. Tous présentent à l’oral, en quelques minutes, une œuvre qu’ils ont étudiée en Arts, en Français ou en Histoire-géographie et échangent avec le jury autour de leur ressenti et de la place qu’occupe l’Art dans leur quotidien. « On invite les élèves à réfléchir leur soi : qui suis-je ? Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je veux faire ? Beaucoup d’élèves sont très bons à l’écrit mais très stressés à l’oral. C’est bien de les découvrir jeunes pour leur donner confiance en eux et leur jugement. Il faut savoir comment se présenter, comment plaire, comment partager ses idées dans le monde d’aujourd’hui pour s’épanouir et réussir », affirme Zena Sabbagh.

Pour finir, l’Art peut aussi libérer des élèves qui ont des difficultés à l’écrit ou des difficultés à s’exprimer en général. « Je repense à une élève de Terminale qui n’arrivait pas à placer deux mots à l’oral, se souvient la professeure. Elle avait de gros problèmes de dyslexie, accompagnés d’une forte timidité. Elle m’a pourtant épatée cette année en présentant un travail de grande qualité, très réfléchi et pertinent. Ces disciplines sont aussi faites pour les élèves qui n’ont pas confiance en eux car elles aident à se connaitre et s’accepter ». Céline Massoud, élève de TS en 2016 écrit à ce sujet sur la page tumblr de l’option : « Suivre l’option arts plastiques au lycée, c’est choisir de se pousser à voir plus loin dans les choses qui t’entourent, dans ce que tu penses déjà connaître. Être créatif n’a rien d’inné, de magique ou d’inaccessible. Ça commence entre toi et toi-même, par un acte de confiance en soi, et ça prend le temps et l’effort de s’y mettre. Il faut juste saisir l’occasion de le faire ! ».

Lien vers le tumblr des élèves de l’option arts plastiques