Accueilchevron_rightL’Olivier, Le petit journal du Grand Lycéechevron_right#monglfl, anciens, JL Mainguy, théâtrechevron_rightParoles d'ancien : Jean-Louis Mainguy

Le parrain de la promotion 2022 du GLFL est l’architecte Jean-Louis Mainguy. Naturellement nous nous sommes dit qu’il serait notre « Paroles d’ancien » du prochain numéro de L’Olivier. Contrairement à un échange téléphonique, M. Mainguy m’a demandé de lui permettre de me répondre par écrit. Sur le principe, évidemment nous n’avions pas de problème. Et l’attente a commencé. Ce numéro de L’Olivier a failli sortir sans son  « Paroles d’ancien » et quel dommage cela aurait été car l’attente n’a pas été vaine, pas du tout même. Elle valait le coup ! Quel plaisir que de rentrer dans les souvenirs de M. Mainguy. Alors une fois n’est pas coutume : nous vous partageons ici, à la virgule près et sans en changer un seul mot,  son récit. Merci à lui. Et belle lecture à vous !

 

 

 

Son GLFL 

J’ai eu le privilège de poursuivre toute ma scolarité au Grand Lycée Franco-Libanais de Beyrouth depuis le Jardin d’enfant (1957/1958) et jusqu’à ma Terminale (1971/1972).

Le Grand Lycée, à l’époque où j’ai intégré mon premier Jardin d’enfant, se situait dans le quartier de Nazareth (Nasra), aujourd’hui Sodéco, et ce jusqu’en classe de 11ème avant de basculer dans le nouvel établissement de la rue Beni Assaf en 1960 qui a vu depuis, de nombreuses transformations et extensions, pour devenir ce Grand Lycée que nous connaissons aujourd’hui.

De mon sentiment d’appartenance à la France et au Liban j’emprunterai ces quelques mots à l’Académicien Amine MAALOUF:

« Moitié français, donc, et moitié libanais ? Pas du tout ! L’identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnée. Je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un « dosage » particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre », ce « dosage particulier » c’est au Grand Lycée que j’ai pu l’apprendre, le vivre et le faire évoluer à travers les ans, mais ceci pour vous dire aussi que les souvenirs de toute la période du primaire sont encore présents, comme ceux d’une franche appartenance à une même famille. En effet avant la guerre de 1975, nous nous sentions porter par un courant d’appartenance à une identité libanaise riches de ces différences, de tous ces prénoms et noms de famille venus  de toutes les régions du Liban, qui se côtoyaient et se répondaient l’un l’autre, comme dans une partition d’orchestre ; Et la musique était douce et harmonieuse.

Se sont toutes ces années d’enfance et de bonheur à l’état pur, que j’ai vécu, loin de toutes désillusions, ce n’est pas un pays utopique dont je vous parle, c’est un endroit complexe et limpide, où  le merveilleux côtoie le réel sans pour autant l’altérer, sans le dénaturer, mais en lui donnant l’audace et la puissance de la différence! Tout en lui gardant sa part de rêve…  mais « combien lentes étaient les années, quand tu portais tablier d’écolier, quand tu dormais chaque nuit sur ton enfance » (Georges Schehadé Poésie II 1948).

Le Lycée n’était pas loin de la maison que j’habitais dans le quartier Yésouïyeh (Université Saint Joseph des Jésuites), il fallait remonter à pied la rue Monot, pour atteindre le portail d’entrée de l’école Laïque française de Beyrouth. J’y ai vécu mes premiers souvenirs d’Ailleurs, cet Ailleurs composé d’une nouvelle famille que j’avais à découvrir.

De Hady el-Assaad à Jean-Marie Tasso, à Jean-Jacques Suzo, à Fadia Habib, à Claire-Eve Rebours, à Jean-Paul Dissous, à Samir Berbery, à Tony Massabny, à Marwan Hariz, à Joe Hammod, à Ziad Nsouli, à Ghazi Nsouli, à Christian Boubillard, à Marie Josée Donato, à Fawziya Addada, à Mona Makki, et j’en passe… avec Madame Naltshayan pour nous apprendre les prémices de la vie. Et quelques années plus tard, ayant changé d’adresse, le Grand Lycée nous offrait d’autres espaces avec Richard Millet, Jean-Paul Dissous, Mona Merhi, Hadi el-Assaad, Freddy Farra, Claire-Eve Rebours, Imad Moukarzel, Fadia Habib, Christian Boubillard, Marwan Hariz, Michel Audiard, Marie-José Chidiac, Marie José Donato, Jean-Marie Tasso, Mona Makki, Jean-Jacques Suzo et Serge de Bustros…

Cette nouvelle famille avec laquelle, quelques années plus tard, je formerai la première troupe de théâtre du Lycée avec Georges Ghosn, Patricia Lacombe, Étienne Kupelian, Marie-Claude Soueid,  et sous l’égide de Jean-Claude Morin (notre professeur de littérature et mentor de plusieurs générations du Grand Lycée), L’Antigone de Jean Anouilh et La guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux verront le jour avec Rita Sayegh, Dominique Orcini, Jean-Pierric Barthes, Hélène Conte, Fouad Awada, Émile Abou, Charling Tao et Annie Bodour… .

Le Rhinocéros de Ionesco sera joué quelques années plus tard, en 1974, lors d’un de mes retours au Lycée pour aider cette nouvelle génération qui continuait ce que j’avais initié avec Jean-Claude Morin… Autant d’expérience de l’espace scénique pour mieux forger la maîtrise du mot, du geste et de la lumière.

Le théâtre est une grande partie de ma vie, il m’a permis de dépasser, ce que mon enfance avait souffert de séparation et d’absence en sublimant les sentiments, en empruntant aux personnages une réalité autre, en exorcisant l’emprunte qu’avait laissé au fond de moi la soudaineté d’un départ.

Le Lycée ne s’était pas encore doté d’une salle de théâtre, et nous investissions, dès la classe de 3ème, les espaces de nos classes de cours, le grand espace polyvalent dédié aux études et aux examens qui se trouvait à l’entresol, ou encore cet autre amphithéâtre aux gradins où nous suivions les cours d’histoire-géographie que nous transformions en théâtres éphémères.

Ce que le Grand Lycée m’a permis de vivre depuis le début de mes études primaires, puis secondaires, est un cheminement dans le temps et la durée, une expérience de liberté et de questionnement constant au travers de laquelle pouvait se construire patiemment au gré des ans, sans efforts volontaires ou délibérés, une conviction, une énergie intérieure qui ressemble à de la plénitude, une lumière franche et belle qui éclaire l’avenir des jeunes hommes et jeunes femmes que nous étions alors, une force intérieure qui prend soin de nos craintes et nous conduit plus certainement et plus sereinement vers nos avenirs divers et complexes.

Cette expérience de liberté intellectuelle m’a certainement permis depuis, de m’exprimer plus totalement dans les divers arts que j’ai choisis de côtoyer, la peinture, la sculpture, le théâtre et enfin l’architecture et la scénographie d’espaces- même éphémères, des langages tous initiés par l’atmosphère libre et responsable que nous vivions, à l’unissons de nos différences.

Libérer les espaces comme on peut libérer les mots pour leur donner toute leur dimension, tous leur sens et toutes leurs contradictions, est un chemin de vie que je poursuis depuis.

« L’absolu de l’être dans la profondeur de son entité, dans l’authenticité de son expression. Contre vents et marrées, contre la pensée banalisée, militer pour le Liban des rêves, pour celui des traditions et des spiritualités. Pour ce Liban qui se suffisait de si peu, qui se contentait d’humanité, de méditation, de contemplation, jusqu’à l’ascèse, face à l’épreuve » (Mounir Abou Debs homme de théâtre libanais).

Son parcours après le baccalauréat

Féru de poésie et en parallèle à mes études d’architecture d’intérieur à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts (ALBA), j’ai eu la chance de participer  de 1971 à 1975 aux émissions littéraires «  Liban Culture » sur les ondes des émissions françaises de Radio Liban (ORTF/INA), sous l’égide de Nazih Khater (journaliste et critique littéraire) qui m’avait confié la séquence « Poésie » de l’émission.

De nombreuses soirées poétiques que j’ai pu animer à Dar El Fan (maison de la culture de Beyrouth) avec Ounsi El Hajj, Nadia Tuéni, FLEKER, Claire Gebeily, un florilège de poètes grecs contemporains, un courant de poésie nouvelle et d’avant-garde (locale et internationale) d’expression française.

L’animation d’une émission hebdomadaire avec Marie Thérèse Arbid (journaliste) et Simon Asmar (producteur) sur les ondes de Radio Liban et la coréalisation du magazine télévisé mensuel « au Fil du Temps » de Linda Noujaim (journaliste) programmé sur le canal 9 de Télé Liban, pendant plus de cinq années consécutives, me permettaient d’acquérir une certaine expérience dans le domaine de l’audio- visuel, expérience que je mettrais à profit tout au long de ma vie.

Malgré la guerre je poursuivais mes études d’architectures d’intérieurs commencées à l’ALBA en octobre 1973 avant de repartir pour Paris pour poursuivre certains chantiers d’intérieur, et parfaire ma formation par un stage de fin d’études en Design Industriel.

De retour au Liban en 1980, je reprends mes activités scéniques avec la scénographie de deux long métrages, l’un de Berhan Alawiyeh « Beyrouth la Rencontre » (Beyrouth Al Liqa’a) , et l’autre « Les petites Guerres » ( Al Houroub Al Saghira) de Maroun Baghdadi dont je signais les décors et les costumes, et j’installais dès 1982 mon bureau d’études d’Architecture Intérieure au Liban puis à Paris, étude qui deviendra avec les années mon laboratoire de recherche permanente dans le domaine de l’esthétique, du fonctionnel et de l’ergonomique.

 Son rapport à la langue française

La langue française est depuis mon plus jeune âge, une construction intérieure que je sais inébranlable, c’est elle qui m’a toujours poussé plus loin dans mes recherches d’absolu et de vécu. Elle a construit en moi la « nuance » qui est la base de tout dialogue et toute tolérance.

Faire bouger les lignes, ne pas avoir la volonté de tout changer, de tout détruire pour recommencer, mais faire simplement bouger les lignes,…

Savoir faire bouger les lignes sans heurts et sans violence, est bien souvent la solution à laquelle on adhère le moins, mais celle qui s’avère être la plus fructueuse !

Le Liban que j’ai décidé d’aimer et d’habiter pour toujours est celui des lignes que nous avons à bouger, c’est celui de tous ces parcours, de toutes ces spiritualités qui nous composent, quelle que soit notre Foi, mais que nous avons à faire évoluer, en nous, et autour de nous !

Si nous prenons le temps de nous délester de ce qui nous encombre, et la vie et l’esprit et l’argent et le pouvoir en tête,  alors nous ne pouvons que nous rejoindre tous dans un lieu qui nous rassemble et qui est notre cœur, notre foi en ce lieu rare que nous avons mis en danger, et qui est le Liban ! Mais pour que cela soit, il faut résoudre tout ce que notre mémoire collective n’a pas su soigner.

Ce n’est pas en pansant une plaie que le mal disparait pour autant, c’est en cherchant la cause du mal à sa racine, qu’une guérison véritable peut être envisagée et qu’un avenir sain, devient possible, c’est là le défi de l’avenir que nous avons tous à relever, toutes générations confondues.

Le message qu’il aimerait laisser aux Lycéens d’aujourd’hui

Pour les plus jeunes d’entre vous, mais aussi pour vous qui faites partie de cette nouvelle promotion du Grand Lycée Franco-Libanais de Beyrouth, vous vous apprêtez à rentrer dans un cycle universitaire après vos années de collège et de lycée, gardez toujours à l’esprit la rigueur et la liberté qui ont été les principes premiers de votre passage au Grand Lycée, cette alternance entre le blanc et le noir, la lumière et l’ombre qui donne tout le relief d’une vie que vous aurez à ponctuer et à construire, la « nuance » qui marque la différence.

Vous vous apprêtez peut être, pour certains d’entre vous à poursuivre ailleurs qu’au Liban vos études universitaires, gardez au fond de votre cœur cette appartenance précieuse à un pays unique, à un microcosme rare, jamais égalé nulle part ailleurs. C’est l’alchimie des siècles, de l’histoire et des civilisations multiples qui ont constitué patiemment cette terre, ne l’oubliez jamais ! Elle fait partie de vos racines les plus profondes, les plus vraies, ne les reniez jamais ! Laissez-les vivre au plus profond de vous, pour qu’elles vous ressourcent à chaque instant, où que vous soyez dans le monde, quoique vous fassiez pour le monde, ou pour cette terre qui est la vôtre.

En conclusion je voudrais simplement vous dire mon amour du Liban, vous dire que je n’aurais jamais pu vivre toutes mes vies ailleurs qu’ici, et vous dire que je continuerai  à servir cette terre qui m’a tant donné de joies, et d’émotions,  alors : «  tous les dépaysements peuvent venir », la Foi comme tout sentiment amoureux véritable n’a pas de fin !

Fra’ Jean-Louis MAINGUY

  • « La guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux » - 1970