Accueilchevron_rightL’Olivier, Le petit journal du Grand Lycéechevron_rightLa Mission laïque française fait sa rentrée au Liban

Entretien avec Jean-Christophe DEBERRE, directeur général de la Mlf

« Parce que nous sortons d’une épreuve, il faut des solutions », a affirmé Jean-Christophe Deberre, directeur général de la Mission laïque française, à l’occasion du séminaire de la Mlf à Beyrouth les 11 et 12 septembre derniers. Après de longs mois de tensions entre parents-professeurs et direction, c’est dans une logique d’apaisement que se sont réunis près de 900 enseignants du réseau autour de grands thèmes de réflexion comme la laïcité et l’éthique du professeur. Une réflexion qui va perdurer puisque le GLFL a été désigné pour mener, cette année, le projet « Grand Lycée, horizon 2109 » et permettre au personnel de l’établissement, aux parents d’élèves et aux élèves eux-mêmes de penser l’école de demain.

 

Quels sont le sens et la place d’un établissement franco-libanais aujourd’hui?

D’abord, le terme «franco-libanais» illustre l’amitié entre deux pays, deux sociétés mais cela ne fait pas un projet pédagogique. Ce projet pédagogique, s’il est encré dans la langue arabe et la langue française, va plus loin, avec l’anglais évidemment mais aussi, souvent, pour nos élèves, une quatrième langue. Il est clair que ce qui était envisagé il y a cent ans, avec la langue française qui construisait les apprentissages, ne va plus de soi aujourd’hui. Pour nous, les trois langues construisent les apprentissages ensemble avec un impératif : un jeune libanais doit rester ancré dans sa langue et culture d’origine. La langue française doit lui permettre de construire une autonomie psychologique, affective, intellectuelle et sociale. Elle devient ainsi le pilier des apprentissages en permettant aux élèves de naviguer entre les différentes langues et cultures. C’est une révolution dans l’approche éducative française dans le monde parce que c’est un changement de regard sur une langue qui n’est plus une langue impériale mais une langue de communication, de services et d’inter culturalité.

GLFL

Parce que nos établissements sont franco-libanais, nous avons aussi une mission auprès de nos professeurs. Ces enseignants sont en majorité libanais. Même s’ils ont souvent été scolarisés dans des établissements français et des universités francophones, nous avons le devoir de les rendre plus proches et vigilants sur leur relation avec la culture française et le programme français. Nous avons également le devoir, pour les professeurs français accueillis dans ces établissements, de veiller à ce qu’ils soient proches de la culture nationale. Pour nous, l’avenir, c’est le développement professionnel de deux cultures qui doivent parler ensemble, complémentairement, chacune avec sa valeur, son histoire, sa spécificité. Un lycée franco-libanais, ce n’est pas la juxtaposition de deux cultures, française et libanaise, mais c’est l’alchimie qui permet qu’un message universel soit porté par plusieurs langues.

Ce séminaire de la Mlf a été l’occasion de rappeler vos principes d’action. Quels sont-ils?

Vu les objectifs que nous nous assignons, ce sont d’abord des principes humains: faire communauté. Cela englobe la solidarité, l’entraide, le collectif. Si un professeur a une difficulté, on ne le laisse pas dans son coin, nous allons le chercher par la main, nous travaillons ensemble, nous constituons des équipes, nous partageons. C’est compliqué parce que cela veut dire une autre forme d’organisation de l’établissement, cela veut dire aussi un accompagnement.

D’autre part, l’enseignement peut être vécu comme une profession un peu libérale parce que le professeur est dans sa classe, seul, avec ses élèves. Je m’oppose à cette idée. Il faut que ce soit une équipe qui soit convaincue, qui ait un projet et qui y croit. C’est la raison pour laquelle nous nous lançons dans une expérience d’évaluation du GLFL, «Grand Lycée, horizon 2109», afin que ce projet vienne de l’intérieur pour être assumé et porté par chacun d’entre nous.

Dernier point essentiel sur lequel nous insistons, c’est la compétence. Les parents nous attendent sur ce point: «qui est le professeur que vous avez nommé? Quels sont ses diplômes? Par quel parcours académique est-il passé? Est-ce qu’il a cette dignité de professeur que nous attendons de vous, association?». C’est la raison pour laquelle nous travaillions sur la maîtrise de la langue française pour que ceux qui en ont besoin arrivent à des degrés de certification supérieure. C’est aussi pour cela que nous allons leur proposer des parcours à leur rythme de certification universitaire, de contact avec la recherche, pédagogique, cognitive qui leur permettent d’être en permanence en avant, tournés vers l’avenir. Parfois, nous avons des faiblesses, il faut les corriger. Je suis heureux que le message soit bien perçu par le corps enseignant ici et qu’il comprenne qu’il ne s’agit pas de le brimer et de lui faire mal mais de préparer l’avenir et de faire en sorte que sa dignité soit inébranlable et inconstatable devant une communauté parentale de plus en plus exigeante. Car rien ne serait plus grave que s’il y avait un défaut de respect des parents pour leurs professeurs.

Vous avez décidé de baser cette rentrée sur les thèmes de la laïcité et de l’éthique enseignante. Pourquoi ce choix?

Dans «Mission laïque française», il n’y a finalement qu’une chose qui soit vraiment comprise par tout le monde, c’est «française». «Mission», c’est: quel message porter? Et «laïque», qu’est ce que cela veut dire? Cette réunion résulte sur tout un travail fait depuis des années sur la laïcité dans la pédagogie. Longtemps, nous avons séparé la laïcité de la pédagogie comme si cela allait de soi, parce qu’on était laïque, que la pédagogie le soit. Je ne sais pas si une pédagogie peut être laïque, en tout cas, la pédagogie française est construite avec comme levier la laïcité et pour finalité l’autonomie et la liberté de l’élève, sa liberté d’être, de penser, de s’affirmer en société. Il faut reprendre d’une nouvelle manière la question de la laïcité non pas comme un principe qu’on brandirait devant les sociétés qui nous accueillent mais comme une pédagogie qui construit cette liberté de l’individu. Nous allons prendre des initiatives au Liban où la société et très sensible à cette notion-là et qui ne confond pas laïcité avec privation de religion. Il assimile laïcité à respect des religions qui sont là, solides. La France qui est sécularisé ne voit pas les choses de la même façon, mais ici on peut facilement y arriver en travaillant sur un enseignant qui intègre l’approche du fait religieux parce que chaque enfant a le droit, voire le devoir, de pratiquer la religion de ces pères et, en même temps, cette liberté de juger exige qu’il ait les outils pour penser par lui-même.

Le deuxième aspect, c’est l’éthique, tout simplement parce que pour qu’une communauté tienne debout avec ses convictions, sa force, sa solidarité, il faut qu’elle ait des principes communs. L’étique, c’est une claire conscience qu’il y a un lien étroit entre les principes éducatifs que nous portons, la justice entre les hommes et les femmes, les droits humains et un comportement collectif qui soutienne cette finalité-là. Une communauté éducative ne peut pas compter sur le seul programme qu’elle diffuse pour tenir debout, elle a besoin d’accepter, de décrire et d’assumer les principes qui la définissent, une «déontologie de l’enseignant». Nous allons le faire ici, au GLFL.

C’est votre dixième année à la tête de la Mlf. Quel est votre principal défi aujourd’hui ?

Cette association est un organisme incroyablement passionnant par sa dimension historique, par son alliance avec différentes sociétés dans le monde, aux Etats-Unis, au Maroc, en Ethiopie, en Espagne, ici… C’est véritablement une flamme qui vit, qui passe les époques et qui a un grand sens pour un grand nombre de nos contemporains. Quand nous disons que nous développons l’enseignement français et conservons sa valeur, c’est pour éviter qu’il ne devienne un produit éducatif comme les autres. C’est pour cela qu’il nous paraît important de revenir avec les fondamentaux et les partager avec les pays avec lesquels nous travaillons.

Vidéo de la conférence inaugurale et des plénières au Palais des Congrès le mercredi 11 septembre 2019.

Retour en images sur les deux jours de séminaire Mlf au Grand Lycée.

Vidéo des interventions à l’amphithéâtre du Grand Lycée:

“Se former en réseau pour construire l’avenir: présentation de l’écosystème Mlfmonde”

Table ronde “De la vie scolaire à la politique éducative: utopie ou réalité?”

Conférence d’Yvanne Chenouf sur le thème: “le plurilinguisme: un atout à valoriser”