Accueilchevron_rightL’Olivier, Le petit journal du Grand Lycéechevron_rightComment se familiariser avec l’écriture avant de savoir lire ?

Les conseils d’Yvanne Chenouf

A l’occasion de la rentrée scolaire, Yvanne Chenouf, professionnelle du livre, est venue participer aux concertations des enseignantes du primaire. Enseignante, ancienne chercheuse à l’Institut National de Recherche Pédagogique, spécialiste de la littérature jeunesse, attachée depuis 1979 à l’Association française pour la lecture, elle a apporté son regard, son expérience et ses conseils à la préparation des projets de la maternelle au CM2.

Elle est arrivée de Paris une valise chargée de livres en tous genres : manuscrits anciens, rouleaux asiatiques, albums accordéons, livres d’enfants. Yvanne Chenouf en a pour tous les âges, comme outils d’apprentissage mais aussi de découverte, d’amusement, d’émerveillement. Selon elle, le livre est un langage en soi car il porte des informations que l’œil est obligé de sélectionner, d’assembler et d’interpréter. Détachée du langage oral, la langue du livre doit être découverte et maniée avant d’être maîtrisée. « Apprendre à lire à des enfants, c’est leur apprendre à regarder une langue qu’ils connaissent à l’oral mais qu’ils connaissent différemment depuis qu’elle est passé à l’écrit, explique-t-elle. Certains livres de poésie sont organisés de manière à faire des jeux graphiques et le sens du texte va provenir de l’association de lettres, de typographies, de couleurs… Donc la première chose à faire avec les enfants, c’est leur apprendre que la langue écrite a un fonctionnement qui lui est propre et qu’il faut prendre en compte de telle façon ».

Découvrir les histoires du livre

Un livre, c’est d’abord une histoire. L’histoire d’une création réfléchie qui va de l’élaboration de la couverture au choix de l’écriture. Yvanne Chenouf a rappelé aux enseignantes et aux responsables de la Marmothèque et de la BCD qu’il était important de travailler autour de ces histoires d’histoires : « Pour raconter une histoire, l’idée est de se servir autant de ce qu’il y a dans le livre qu’autour du livre, explique Dima El Kurdi, documentaliste à la Marmothèque. Sur les conseils d’Yvanne Chenouf, l’idée serait donc de parler aux élèves du format, de l’écriture, des illustrations mais aussi, même pour les tous petits, de la vie de l’auteur et de ce qu’il a mis de son expérience et même ses névroses dans ses albums, comme c’est le cas de Claude Ponti ». Les élèves de CE2, eux, vont travailler sur les contes. Là encore, ce genre littéraire est l’occasion de découvrir une tranche d’Histoire. « Lorsque l’on parle des contes de Perrault et de Grimm, c’est intéressant que l’élève découvre l’époque du Moyen-Age, la pauvreté, les modes de vie, que l’on puisse, à partir du livre, s’intéresser au contexte », ajoute Martine Mansour, documentaliste à la BCD.

 

Se familiariser avec l’écriture

En moyenne section, même si l’enfant ne sait pas encore lire, Yvanne Chenouf a proposé de développer en classe un cahier d’écrit : « Il s’agirait d’un cahier individuel ou collectif pour sensibiliser un enfant à tout ce qu’il voit d’écrit autour de lui, dévoile Dima El Kurdi. L’enfant, à partir de 3 ans, y colle les écrits qu’il est habitué à voir dans sa vie depuis l’étiquette du pot de yaourt, à la carte d’anniversaire en passant par une publicité avec des thématiques comme le temps, la nourriture, la nature ». Ce cahier, reflet de la vie de l’enfant, peut aussi devenir le terrain d’entente, de mélange, de conversation entre les différentes langues qu’il côtoie au Liban. « L’écritier peut être bilingue ou trilingue selon l’environnement linguistique dans lequel l’enfant est placé et il va pouvoir y organiser les choses car pour pouvoir comparer les langues et qu’elles s’imprègnent, il faut passer par l’écrit », affirme Yvanne Chenouf.

Jouer avec la complexité

Cap sur les ouvrages documentaires ensuite en Grande section pour un projet sur les insectes. « Il faut des livres complexes pour les enfants, des livres qui ne simplifient pas le monde mais permettent de voir le monde dans sa complexité, déclare Yvanne Chenouf. Dans l’ouvrage Scarabées d’Owen Davey sorti chez Gallimard, on voit que l’écriture et les illustrations ne sont pas simplifiées. Pour les enfants, c’est fascinant, ça aiguise la curiosité. Ils vont devoir développer des compétences de haut niveau pour entrer dans ces textes-là ». Face à cette complexité, il est important d’accompagner l’élève dans ce travail avec, en premier lieu, des relectures de plus en plus approfondies. « Un bon texte est un texte qui a intérêt à être relu, note la spécialiste, ce qui permet de trouver un certain nombre de choses qu’on n’avait pas vu la première fois ». Il peut être utile ensuite de leur fournir des aides : de petites étiquettes, des bouts de texte séparés du contexte, surlignés, annotés. « Les enseignantes vont commencer à décomposer le mot « insecte » : combien de voyelles il comporte, combien de consonnes, de syllabes, quels sont les mots de la même famille… Sur un certain nombre de mots, l’élève va tellement bien les connaître, qu’il va pouvoir les reconnaître. Petit à petit, les mots vont rentrer dans les adjectifs, les verbes, les déterminants mais aussi dans des champs sémantiques ».

 

Utiliser les mots pour parler de soi

Arrivé au CP, l’élève est confronté à une organisation et un rythme différent de ce qu’il a connu en maternelle. Arrivent, avec ces découvertes, l’étonnement, la peur, la colère, toutes sortes d’émotions qui, pour Yvanne Chenouf, sont un levier idéal pour entrer dans la lecture et l’écriture. « Lorsque je reçois les élèves de CP pour la première fois à la BCD, ils arrivent tout juste à ‘la grande école’, note Martine Mansour, documentaliste. Si je démarre mes ateliers de lecture et d’expression sur les émotions d’un élève, l’enfant va certainement mieux réussir sa scolarité que si nous ne l’accompagnons pas en parlant de ça. Nous avons plusieurs livres à disposition sur la timidité, la peur, la colère que nous allons travailler avec cette question en filagramme : Qu’est ce qui fait battre le cœur d’un enfant de CP ? ». De la même manière, les CE1 vont travailler les fables en comprenant que ces textes sont intemporels et les morales présentes dans leur quotidien : « nous souhaitons apprendre à l’enfant, à travers les fables et l’animal qu’il adore, une certaine morale par rapport à un certain problème qu’il peut avoir à l’école » continue Berthe Bou Nafeh, documentaliste. « Il faut que les enfants comprennent que les livres parlent d’eux, font écho à leurs grandes questions, confirme Yvanne Chenouf. Les problèmes d’endormissement, la peur de la séparation : les livres jeunesse en parlent par le détour. Et non seulement les livres parlent d’eux, mais ils parlent entre eux, se font écho ».

 

Et faire son propre livre

Puis, une fois qu’ils ont vu comment fonctionnent les livres que l’on lit, avec des livres différents qu’ils peuvent démonter et remonter, ils peuvent apprendre à en produire pour créer des effets eux-mêmes afin de procurer des émotions ou apprendre des choses aux autres.  « La production d’écrit, l’écriture créative elle ne vient pas après le fait qu’on sache lire mais au fur et à mesure, insiste la spécialiste. Après avoir écrit autour des textes, nous pouvons leur apprendre à faire des livres eux-mêmes en leur faisant ‘plier le papier’ afin qu’il faut qu’ils comprennent que l’écriture cache beaucoup plus de choses qu’elle n’en dit. Toute écriture est implicite et fait appel à l’explicite qui est dans la tête de chaque enfant. Cela les fait entrer en même dans la production d’écrit et dans la manière d’appréhender les livres. Leur compréhension des livres est d’autant plus importante ».

Ainsi, les enfants, dès la maternelle et ensuite tout au long du primaire, s’approprient le langage de l’écrit afin d’être acteur dans leur lecture et leur écriture ainsi que dans la société dans laquelle ils vivent.

 

Conférence à l’amphithéâtre du Grand Lycée lors du séminaire de rentrée le jeudi 12 septembre 2019.